Clinique Iroko de Yopougon, le vendredi 25 juillet dernier. Il
est 10 heures 40. Entouré de son équipe qui comprend, en plus de
Maffa César (l'anesthésiste), des infirmières et infirmiers, les
docteurs Logbo Sacré (son assistant attitré) et Kouadio Koffi Gabin,
le Dr Gbédégné Guigui, gynécologue-obstétricien de talent mais,
surtout, un chirurgien reconnu comme aimant les défis, est face
à un autre challenge: il lui faut restituer à un hermaphrodite (un
sujet présentant à vue, à la fois, des attributs masculins et féminins)
sa véritable nature.
N'étant pas à sa première expérience - il a déjà opéré avec succès
un cas de ce genre il y a quelques années - l'homme est très détendu.
La seule chose qui le préoccupe et qui l'a contraint à remettre
l'intervention, prévue la veille, à ce jour, c'est le temps qu'il
faudra passer au bloc opératoire : 2 heures ? 4 heures ou 6 ? Il
ne le sait pas encore. "Tout dépend de ce que nous verrons à l'intérieur
quand nous aurons ouvert le ventre (…)
Le sujet, âgé de 11 ans, présente une morphologie qui demande de
la prudence. Nous avons là un tableau qui est complexe : il a, à
la fois, un pénis d'environ 5 cm avec un gland mais sans prépuce
ni méat urinaire, de grandes lèvres qui ressemblent à des bourses
sans testicules, des reliques de petites lèvres, une ouverture vaginale
avec un hymen, un méat mais sans clitoris. Et, paradoxalement, des
seins excentrés et sans glandes mammaires. Chose qui fait penser
qu'on a affaire à un garçon.
Certes, l'échographie a montré que le sujet a des ovaires et un
utérus et pas de prostate, traits distinctifs importants entre l'homme
et la femme, mais il nous faut une confirmation. Nous allons donc
procéder dans un premier temps à une laparotomie (ouverture de l'abdomen)
pour explorer les organes génitaux internes afin d'avoir un statut
certain : soit, nous avons rien que des organes internes féminins
(trompes, ovaires, utérus…), soit des organes masculins internes
(testicules, prostate et vésicules séminales ) ou les deux à la
fois (…). Ce n'est qu'à partir de ce moment que nous déciderons.
Et là, l'intervention consistera en une résection des organes non
fonctionnels puis en une plastie (chirurgie esthétique) de ceux
qui seront conservés", explique d'entrée le Dr Gbédégné.
"Si nous réussissons et que le sujet a tous ses organes féminins
internes, hypothèse en laquelle je crois le plus, la jeune fille
qu'elle deviendra aura non seulement la possibilité d'avoir des
rapports sexuels normaux mais, aussi de procréer. Seulement elle
n'aura pas de seins mais, là aussi, nous pourrons procéder, à l'âge
qu'il convient, à une greffe de seins…", ajoute-t-il.
Pendant que l'anesthésiste s'affaire et que Dr Sacré procède à
la stérilisation (nettoyage) de la zone à inciser pour la laparotomie.
Bond en avant. Il est 11 heures. Le sujet, un peu agité au départ,
est à présent sous anesthésie générale. Et, tous les instruments
(pinces, ciseaux, bistouris, sonde d'aspiration de sang, compresses
, etc.) en place, le Dr Gbédégné vient de commencer son travail.
Après une incision horizontale de l'abdomen, il avance, couche par
couche, en ligaturant les vaisseaux sanguins touchés… Peau, sous-peau,
aponévrose, couche musculaire de l'abdomen et péritoine sont vite
incisés et l'orifice maintenu ouvert avec la mise en place d'un
écarteur de Farabœuf.
Dans le bloc, l'atmosphère est lourde. Entre l'odeur de l'éther
et la vue du sang, les néophytes ne font pas beau à voir. A l'image
du cameraman et du photographe privés. chargés de fixer les plans
de l'acte chirurgical.
11 h 15 : l'intervention prend un autre tour : après un (premier)
sondage des organes internes, l'exploration de l'abdomen est momentanément
abandonnée. La raison? La vessie, pleine, empêche de voir tous les
organes. Il faut donc la vider… C'est chose faite à 11h30, grâce
à une poche d'urine placée dans le méat urinaire...
L'exploration reprend. Un ovaire normal... Une première trompe et
la deuxième, toutes normales… Le deuxième ovaire atrophié mais présent…
L'utérus... Tous les organes internes féminins sont présents. Et
pas de traces de prostate, de testicules ou de vésicules séminales…
Dans le bloc, le personnel féminin exulte : "Merci Seigneur! Elle
a tous ses organes de femme!", s'écrient les filles.
12 h 5 : Après avoir refermé l'abdomen, en suturant les couches,
une après une, le Dr Gbédégné opte pour ce à quoi il s'attendait.
"La laparotomie est terminée (…) Comme vous l'avez constaté, il
s'agit bien d'une jeune fille à qui il va falloir rendre toute sa
féminité. En procédant à une plastie…", dit-il.
12 h 15 : Top, c'est parti pour la dernière (longue et difficile)
étape de l'intervention : la résection du pseudo-pénis et la "fabrication"
d'un néo-clitoris à sa place. La patiente en position gynécologique,
Dr Sacré fixe les grandes lèvres à la peau de la face interne des
cuisses avec du fil vicryl serti N°2.0. Puis, l'organe dégagé, le
Dr Gbédégné détend l'atmosphère avec une petite plaisanterie: "Hé,
les garçons! C'est pour vous-là que je vais enlever hein!", dit-il.
Avant de s'y attaquer au bistouri froid.
14 h 15 : Ouf! c'est fini. Le pseudo-pénis sectionné, le praticien
a façonné à la jeune fille un clitoris. Ce, à partir de la peau
du pénis et d'une partie des corps caverneux…
Le résultat étant plus que satisfaisant, il ne reste plus qu'à
se congratuler et à passer aux pansements. "Bravo les gars. Merci
à toute l'équipe. nous avons fait un travail formidable", conclut
le Dr Gbédégné Guigui.
Lire l'article original : http://www.notrevoie.ci/story.asp?ID=10784
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