Fraternité
Matin - 30 juillet 2001 - Enquête de DOUH L. PATRICE
Impact du sida : La maladie
destabilise menages et entreprises qui réagissent timidement.
L’impact
du VIH sur les entreprises productrices de la richesse nationale
est également direct car il s’attaque à la main-d’œuvre.
En 1993, alors que le VIH commençait à peine à provoquer maladies
et décès parmi les travailleurs de Côte d’Ivoire, les coûts médicaux
liés au sida supportés par quatre entreprises d’Abidjan se situaient
déjà entre 1,8 et 3,7 millions de dollars.
En 1997, les coûts du sida à Abidjan représentaient en moyenne 2%
de la masse salariale.
A ce jour, la tendance est à la hausse.
Le sida affecte de façon exponentielle et dramatique les Ivoiriens.
Dans ce pays où le taux de prévalence fait partie des plus élevés
de l’Afrique de l’Ouest (10%), le sida représente au dire du professeur
E. Bissagnene(1) la première cause de décès (adulte).
Les sujets de 15-49 ans infectés, constituent 87% des personnes
vivant avec le Vih-Sida.
En dépit des réponses apportées à la pandémie, celle-ci affecte
sérieusement des familles en milieu citadin comme en milieu rural.
A propos du milieu citadin, les experts estiment qu’il est extrêmement
touché et mobilisé ; les dix communes d’Abidjan comptent plus des
deux tiers des cas du sida déclarés pour l’ensemble du pays.
Par rapport à d’autres maladies, le professeur E. Bissagnene soutient
avec force que le sida frappe surtout des personnes dans la force
de l’âge. C’est dire que la maladie atteint les individus les plus
productifs, ce qui estime-t-on touche profondément les structures
économiques et sociales des familles.
Lorsqu’un ménage perd son principal soutien économique, sa survie
même est menacée.
Surtout que, comme le signalent des experts de l’IRD/ORSTOM, dans
une étude sur “ les orphelins du sida ”(2) en Côte d’Ivoire, “ 73,3%
des patients enquêtés ont un revenu inférieur à 50.000 F CFA par
mois, pour faire vivre de 5 à 10
personnes ”.
Quel avenir pour les enfants de 0 à 8 ans livrés presque à eux-mêmes
pour avoir perdu l’un de leurs géniteurs, et dont le nombre était
estimé en mai 2000, entre 530.000 et 600.000, soit 10% des enfants
vivant dans ce pays?
Les projections faites par différentes sources concordent pour annoncer,
un million d’orphelins en 2005-2008, victimes socio-familiales de
la pandémie.
La pauvreté quotidienne des personnes infectées par le Vih-Sida
est réelle. Comme l’atteste la thèse de Dr Vafoungbé Diabaté(3).
En effet, il ressort de ses travaux sur l’évaluation du coût direct
de l’hospitalisation, que 70,3% des patients hospitalisés (la durée
moyenne de l’hospitalisation était de 17 jours avec des extrêmes
de 2 à 74 jours) sur un total de 155 cas, ont un niveau socio-économique
faible.
Il en résulte que 51 patients (32,9%) n’ont pu honorer les frais
d’hospitalisation.
Ceci corrobore l’idée d’après laquelle, la pauvreté quotidienne
des personnes infectées est un frein au mieux être de leurs progénitures
ou de tous ceux dont ils ont la charge.
Assurer
dès lors les besoins primaires (se nourrir convenablement, se loger
décemment, se soigner, s’instruire) devient un luxe, un rêve lointain.
A propos d’instruction et d’éducation, les perturbations dont sont
victimes les “ orphelins du sida ” notamment, faute d’assistance,
sont aussi observées au niveau des enseignants ; un corps de métier
lourdement frappé par l’infection au Vih-Sida en Côte d’Ivoire.
Des statistiques indiquant qu’on enregistre par semaine, cinq décès
d’instituteurs. Ce qui a une incidence sur la qualité de l’enseignement,
compte tenu du ratio peu flatteur, enseignant-enseigné.
L’impact
du Vih sur les entreprises productrices de la richesse nationale
est également direct, car il s’attaque entre autres, à la main d’œuvre.
Une étude sérieuse menée par des médecins ivoiriens dont Dr Serge
Eholie, (service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital
public de Treichville-Abidjan)(4) a su mettre en exergue, les perturbations
professionnelles (liées à l’infection au Vih/Sida), la mortalité,
la morbidité, l’absentéisme, les remplacements. Et l’impact économique
jugé sur la baisse de la productivité, le coût des soins de santé
(hospitalisations, consultations), le coût des remplacements, celui
des funérailles et de la solidarité.
Le premier constat est celui d’une augmentation de la morbidité
au cours des dix dernières années, avec un taux d’absentéisme cinq
fois plus important avec le sida qu’avec les autres maladies.
D’après Dr Any Grah, médecin d’entreprise, le surcoût lié à l’absence
– repos maladie, abandon momentané de poste pour assister aux funérailles
d’un collègue, etc. – et donc l’absentéisme de façon générale, coûte
en moyenne à l’entreprise, 12,5 millions de F.CFA par an.
Ceci a également un impact économique avec une baisse de la productivité
(à mettre en relation avec le coût de la formation, l’insuffisance
de rendement des travailleurs devant remplacer à leur poste les
absents malades, par exemple).
De même qu’on note une augmentation des soins de santé en termes
de consultations et d’hospitalisation. Ce qui est confirmé par une
étude de E. Bissagnéné, A Kadio, S. Eholié (voir encadré).
Il
est établi que le coût moyen direct de la prise en charge d’un malade
s’élève à 140.680 F.CFA.
En sus d’un coût moyen des infections opportunistes (candidose digestive,
salmonelloses nontyphiques, orypto coccose neuromeningée, texoplasmose,
etc.) d’environ dix millions (10.000.000 FCFA) par individu, selon
Dr Serge Eholie.
Dépenses augmentant chaque année, avec comme conséquence, la détérioration
du régime maladie.
Déjà
en 1993, mentionne une étude de N. Snauwaert (Onusida), alors que
le Vih commençait à peine à provoquer maladies et décès parmi les
travailleurs de Côte d’Ivoire, les coûts médicaux liés au sida supportés
par quatre entreprises d’Abidjan se situaient entre 1,8 et 3,7 millions
de dollars.
En 1997, les coûts du sida à Abidjan représentaient en moyenne 2%
de la masse salariale.
Les observateurs avertis estiment que ces données sont encore et
toujours d’actualité. Mieux, ils suggèrent à l’instar de Dr Serge
Eholié, qu’il faut ajouter les frais de solidarité et les frais
funéraires conventionnels (cercueil, couronne, transfert, indemnité
à verser à la famille du défunt, dont le montant est fonction de
l’ancienneté et du niveau des dettes contractées par le défunt,
vis-à-vis de l’employeur).
Ces derniers se chiffrant respectivement à 17 millions et 70 millions
FCFA.
A
titre indicatif, les recherches effectuées par Dr Any Grah, indiquent
bien que la moyenne annuelle du coût des funérailles des ouvriers,
dans une entreprise de la place, se présente comme suit : 32 millions
FCFA (1997), 67 millions FCFA (2000).
Ils sont nombreux les chefs d’entreprises à reconnaître que le sida
est une réelle menace à long terme sur la rentabilité de la compagnie.
Aussi, nul ne conteste que, pour rester compétitive, toute entreprise
a intérêt à préserver le degré de compétence, l’état de santé et
la capacité de gain de la main d’œuvre. Surtout que, précision importante,
“ à quelque niveau de la hiérarchie que ce soit, le personnel est
le capital le plus précieux de l’entreprise ”.
Au
delà de la rhétorique des professions de foi, combien sont-ils,
les responsables d’entreprise, à franchir le rubicon en alliant
théorie à la pratique ? En s’investissant dans la prise en charge
pour rassurer une vie meilleur et plus longue aux employés vivant
avec le Vih ?
Très peu, à la vérité.
Sur la place les chefs d’entreprises qui le font n’excèdent pas
le nombre de huit.
Et pourtant !
Enquête
DOUH L. PATRICE
(1)
E. Bissangnene, UFR Sciences médicales, Abidjan, département d’Infectiologie
(2) Marie France Adrien, Orphelins et sida en Côte d’Ivoire, ORSTOM,
mai 2000 p. 13 sur 23
(3) Diabaté Vafoungbé, “ Evaluation du coût direct de la prise en
charge hospitalière des sidéens, au service des maladies infectieuses
”, thèse de Doctorat, 1996-1997
(4) Serge Eholié, Transcript ase sud, 2001, n° 6, avec P.A. Gauymon,
A. Kakou, E. Bissangnene et A. Kadio.
·
ZONE D’OMBRE :
L’attentisme du patronat et des assurances
Investir
dans la prise en charge pour assurer une vie meilleure et plus longue
aux employés vivant avec le Vih contribue au maintien en poste le
plus longtemps possible de personnes qualifiées, expérimentées et
loyales.
Ne pas s’orienter dans cette voie, c’est laisser le sida saper les
bases du rendement. Car, les études prouvent que la pandémie est
un facteur de ralentissement de l’activité et de la productivité
en entreprise.
Le
patronat le sait. Pourtant, les responsables hésitent encore à se
lancer donc des programmes de prévention du Vih sida sur le lieu
de travail.
Car dit-on, ils les trouvent coûteux.
Ce qui n’est pas vrai, au regard des avantages comparés en terme
d’absentéisme et de prise en charge.
En
effet, il est établi que la prise en charge des travailleurs atteints,
en les traitant par antiretroviraux permet : la poursuite des activités
professionnelles ; l’amélioration de la qualité de vie ; un gain
certain par rapport au coût des visites médicales, des médicaments,
des hospitalisations répétées et prolongées etc.
Quant
aux assureurs, ils ont récemment traduit à Abidjan, au cours d’un
séminaire, leur volonté de s’engager dans la lutte contre le sida.
Des discours colorés de bonnes intentions ont été entendus. A profusion.
Sur le terrain, c’est le statu-quo avec les compagnies d’assurance.
Celles-ci ne sont pas encore prêtes à partager le risque maladie.
Sur
155 malades, les enquêtes menées par Diabaté Vafoungbé, révèlent
que 126 patients (81,3%) n’ont pu bénéficier de prise en charge.
Contrairement à 15 patients soit 9,7% assistés financièrement par
leurs employeurs et 14 (9,0%) par l’assurance maladie.
On
le voit bien !
Entreprises et compagnies d’assurances participent d’une manière
ou d’une autre aux frais de santé des malades.
Ils auraient pu en tirer meilleure profit si cette prise en charge
se faisait au travers d’une politique volontariste et rationnelle.
Car tout compte fait, pour les frais d’hospitalisation par exemple,
les entreprises payent rarement cash.
Le remboursement se fait plusieurs mois après, quand ils ne s’étend
pas sur une plusieurs années.
Les perdants sont certainement les employeurs et assureurs, surtout
que certaines cliniques, ou structures sanitaires, par mauvaise
foi, prolongent la durée de l’hospitalisation de leurs clients dont
ils se gardent de déclarer l’état sérologique. Préférant par cette
astuce, traiter les infections opportunistes. Et enfin, passer à
la caisse.
Sachant que dans tous les cas, l’assurance devra payer.
DOUH. L. PATRICE
·
BON POINT : Les pionniers sur la bonne voie
Une
certitude : les conséquences du Vih/sida dans l’entreprise sont
responsables de :
l’augmentation des dépenses de santé ;,
l’augmentation des prestations au titre de la retraite, des pensions
ou de l’assurance maladie et décès ;
une baisse de productivité quand l’absentéisme augmente parce que
les employés sont malades ou s’absentent pour s’occuper des proches
malades ;
une augmentation des coûts du recrutement et de la formation due
à la perte de personnel expérimenté.
En conséquence, les chefs d’entreprises sont autant partie prenante
que les travailleurs dans le combat contre le Vih/sida, comme la
profitabilité et la rentabilité de l’entreprises sont menacées par
l’impact de la maladie.
Leur participation dans la lutte contre cette pandémie fait toute
la différence.
Non seulement dans le cadre de l’initiative nationale, mais aussi
pour leur propre secteur.
C’est pourquoi, il faut se réjouir des actions que mènent quelques
entreprises (CIE, groupe Unilever, Port Autonome, etc.)
En se lançant d’une part dans des programmes de prévention du Vih
sur le lieu de travail et d’autre part, en prenant en charge leur
personnel infecté.
Comités
de lutte contre le sida par-ci, dépistage et traitement précoce
sont des gages d’un mieux être tant du personnel que de l’entreprise.
En l’absence d’une telle stratégie de lutte, le tableau qui se présente
aux entreprises “ réfractaires ”, adeptes de la politique de l’autruche,
face à la pandémie est connu : Consultation tardive, délai de diagnostic
prolongé par la difficulté à honorer les bilans d’investigations,
de même que celle d’achat des médicaments expliquent cela.
Cette durée prolongée accroît dit-on les frais d’hospitalisation,
faisant intervenir certaines infections opportunistes telles que
la cryptococcose neuro-méningé, la toxoplasmose cérébrale, la tuberculose
de traitement long.
Avec le Dr Any Grah on constate que les entreprises qui assurent
la prise en charge de leurs employés malades (qui respectent le
traitement), ont une réduction des congés maladie de 80% ; les frais
médicaux reviennent cinq fois moins cher ; les frais funéraires
baissent de 100%, etc.
Dès lors, il est important de sensibiliser la direction sur l’intérêt
de la prise en charge thérapeutique des sujets Vih/sida.
Tout comme il convient d’impliquer le personnel, à travers ses représentants,
dans la prise en charge etc.
DOUH L. PATRICE
· Repères
*Le sida sape les bases de l’entreprise : des aménagements temporaires
et des problèmes de reclassement se posent. Tout comme des perturbations
professionnelles et sociales (frais funéraires).
*Une entreprise peut mettre en place des programmes efficaces sur
le lieu de travail pour une fraction seulement des coûts actuels
du sida pour l’entreprise, lesquels sont en augmentation.
*Situation et activités des employés travaillant en entreprise,
Vih positif vivants (étude du Dr Serge Eholié) : normale, 30%, arrêt
de travail pour 3 mois (32%), arrêt de travail pour 6 mois (12%),
invalidité (26%).
Lire
l'article original : www.fratmat.co.ci/story.asp?ID=6558
|