cameroon-info.net
- 31 Août 2001
La police aux trousses des pharmaciens du trottoir.
Les autorités se disent déterminées à éradiquer le phénomène à Yaoundé...
Depuis
la fin de la semaine dernière, il ne fait pas bon d'être ce qu'on
appelle communément aujourd'hui ''pharmacien du trottoir''.
Le ministère de la Santé Publique a décidé d'aller à la chasse de
cette catégorie de sauveteurs dans la capitale.
Des contingents de gendarmes sont envoyés chaque jours au marché
central et celui de Mokolo, à la chasse des "pharmacies du poteau".
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Depuis
août 1996, cette activité est illicite au Cameroun, suite à une
décision conjointe du ministre du Développement Industriel et Commercial
et du ministre de la Santé Publique.
Cette décision est intervenue quelques jours après que les médias
eurent signalé que trois enfants, qui avaient absorbé un vermifuge
acheté chez un pharmacien du poteau, avaient été victimes d'une
intoxication et que deux en étaient morts.
Contre toute attente, ni le nom du vermifuge, ni l'identité des
victimes n'ont jamais été dévoilés.
Cette interdiction n'a pas empêché les "pharmaciens du trottoir"
de continuer leurs activités.
"Je sais que c'est déjà mon métier ; je vends même si le gouvernement
interdit", explique l'un d'entre eux.
Les consommateurs non plus n'en ont eu cure.
Les frais d'hôpitaux sont trop chers, les médicaments inaccessibles
dans les pharmacies officielles.
Auprès
des petits vendeurs, on peut acheter six comprimés de Nivaquine
pour 100 francs CFA, trois pour 50 francs. Chacun achète ce qu'il
peut.
En ville, pour un paludisme, il vous faudra débourser 2 000 ou 3
000 francs CFA minimum ; 12 000 francs si la crise nécessite la
prise d'Halfan.
Les vendeurs remplacent aussi les médecins.
Ainsi Eric n'hésite pas à faire des prescriptions de façon empirique
ou à la lecture des notices : "Je défie même certains pharmaciens.
J'ai soigné un papa qui a souffert de rhumatismes pendant 15 ans.
Il avait fait le tour des hôpitaux et des pharmacies et dépensé
beaucoup d'argent. Lorsqu'il est venu chez moi, je lui ai prescrit
un traitement pour 500 francs. Quelques jours après, il est revenu
me remercier parce qu'il se sentait complètement guéri".
Ce
papa a eu la chance de tomber sur quelqu'un qui savait lire.
Certains de ces vendeurs sont analphabètes.
La plupart des porteurs de paniers ne connaissent rien aux produits
qu'ils vendent et font courir de grands risques à leurs patients
avec leurs prescriptions hasardeuses.
Même si les remèdes ne sont pas contre-indiqués, ils sont souvent
inadaptés ou peu efficaces.
Certains ne contiennent même aucun produit actif.
Les gens se croient soignés alors que leur maladie progresse. Quand
ils s'en rendent compte, il est parfois trop tard. Les médicaments
vendus dans ces paniers ou dans les petites boutiques de marché
sont de provenance très diverses, généralement achetés au Nigeria,
grand pourvoyeur de faux médicaments et plaque tournante de la contrebande.
Rares sont ceux qui viennent d'Europe de l'Ouest.
La plupart sont fabriqués en Bulgarie, en Inde, au Nigeria.
Les boîtes ne mentionnent pas de date de péremption ; la composition
n'est pas détaillée et l'origine imprécise.
"Les comprimés de France soignent bien, estime une vendeuse que
nous avons rencontrée. Ceux d'Inde ne sont pas très bons."
Le Président du Syndicat national des pharmaciens du Cameroun (SNPC)
ne cesse de protester : "Ces médicaments vendus dans la rue, ce
sont des poisons !
Les acheter, c'est mettre sa vie en danger. On ne brade pas une
santé !".
Selon lui, il est urgent d'informer les gens sur les dangers de
l'automédication et de la manipulation de ces pilules par des mains
inexpertes : "Cinq à six ans d'études pour devenir pharmacien :
on ne fait pas de si longues études pour rien ! Le médicament peut
tuer s'il est mal utilisé... ".
Pour
les pharmaciens, les médicaments mal conservés et donc abîmés sont
aussi dangereux que ceux qui sont périmés. Ils devraient tous être
détruits.
C'est ce qu'ont fait à plusieurs reprises, sous la pression du SNPC,
les autorités camerounaises.
C'est d'ailleurs une réunion tenue les 2 et 3 août derniers entre
les pharmaciens et les autorités du ministère de la Santé Publique
qui est à l'origine de cette offensive contre ces officines de rue.
En
décembre 96 déjà, près de soixante gendarmes avaient démantelé de
grands dépôts pharmaceutiques à Yaoundé. Début janvier de l'année
suivante, ce butin, où l'on trouvait pêle-mêle des échantillons
de médicaments gratuits, des produits périmés et d'autres sans aucune
date de fabrication, a été publiquement détruit par les flammes
au cours d'un "autodafé de médicaments et produits pharmaceutiques".
Plusieurs cérémonies de ce genre ont été organisées dans les grandes
villes du pays.
Mais, d'après un vendeur que nous avons rencontré, ces destructions
ne sont que des mises en scène : "En réalité, "ils" trient les médicaments
et ne brûlent que les emballages vides.
Par la suite, ils viennent nous revendre les mêmes médicaments".
Aussi, est-ce plus par souci d'échapper au rançonnement pratiqué
par quelques policiers véreux que par crainte de la loi et des sanctions,
qu'Eric comme beaucoup d'autres, dissimule les médicaments derrière
d'autres marchandises afin de passer pour un vendeur de cigarettes
ou de friandises.
Personne n'est dupe et chacun distingue parfaitement le "pharmacien"
du vendeur de bonbons.
Certains affirment d'ailleurs que les réseaux d'approvisionnement
des "pharmacies du poteau" sont tenus par quelques hautes têtes
du pays et d'autres réseaux mafieux.
Le jeune vendeur de rue peut donc violer la loi parfois en toute
impunité.
On estime que près de 40% des médicaments vendus au Cameroun proviennent
ainsi de la contrebande et alimentent le circuit informel.
A qui profite la vente des médicaments dans les rues, aujourd'hui
illicite au Cameroun ?
A ceux qui s'improvisent "pharmaciens", certes, mais aussi aux importateurs
bien placés qui contournent les lois.
Les consommateurs, eux, prennent tous les risques.
B. Z.
Lire
l'article original : www.cameroon-info.net/archives-res.phtml#
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