Environ 89 % des Sénégalais déclarent utiliser des plantes médicinales
ou phytomédicaments pour leurs problèmes de santé. Abordables et
accessibles, ces médicaments ouvrent de nouvelles perspectives pour
l'accès des populations pauvres aux soins et aux médicaments de
base. Les phytomédicaments sont désignés sous le concept de "Médicaments
traditionnels améliorés" par l'Organisation mondiale de la santé
(Oms). "Ces nouveaux médicaments sont très efficaces et ne coûtent
pas chers. C'est vraiment une aubaine pour nous les pauvres", affirme
Alioune Sow, un grand consommateur de ces produits, qui s'approvisionne
en phytomédicaments contre la diarrhée, pour ses enfants.
A Khadimou Rassoul, un quartier populaire de Dakar, la capitale
sénégalaise, les populations recourent très souvent aux phytomédicaments.
"Quand les malades viennent en consultation, nous leur proposons
les deux types de médicaments, mais ils préfèrent souvent se soigner
avec les produits à base de plantes naturelles", indique Ouleye
Dia, aide-infirmière au poste de santé communautaire du quartier.
"Dans ma famille, on utilise beaucoup le Nguer-Tisane, car c'est
très efficace contre la toux et puis, le contenu du sachet est suffisant
pour soigner toute la famille à plusieurs reprises", renchérit Fatou
Sèye, informaticienne. Un sirop pour la toux ne coûte pas moins
de 1 500 francs Cfa en pharmacie moderne alors qu'un paquet de Nguer-Tisane
ne coûte que 150 francs Cfa, soit 10 fois moins.
UNE EFFICACITE CURATIVE AVEREE
Selon Fatima Sy, docteur en pharmacie et coordinatrice du programme
"Plantes médicinales" auprès de l'Organisation non gouvernementale
(Ong) Enda Tiers-monde, il existe des plantes utilisées depuis très
longtemps par des tradipraticiens, dont l'efficacité curative a
été prouvée par des tests pharmacologiques et cliniques.
"Euphorbial Hirta, appelée communément Mbal, est une plante très
connue par les Sénégalais. Les études pharmacologiques ont prouvé
que cette plante a une activité antibactérienne sur la dysenterie
amibienne", explique-t-elle. Les recherches menées, depuis des années,
par le programme du Dr Sy, en partenariat avec le Groupe de recherche
sur les plantes médicinales de l'Université de Dakar, visent à améliorer
les traitements traditionnels à base de plantes naturelles, grâce
à des procédés pharmacologiques modernes.
Le produit fini est appelé "phytomédicament". Il en existe maintenant
une bonne variété, dont certains en tisane comme le Mbal-Tisane
(pour les diarrhées), le Laxa-Tisane (pour la constipation), le
Nguer-Tisane (pour la toux). En poudre, le Mbanta et le Bakis, sont
destinés au traitement des maux de ventre.
Seul l'Elooko, un antitussif à base de Nguer, se présente sous forme
de sirop. "Nous avons des projets de recherche pour d'autres phytomédicaments
pour le traitement du diabète, le paludisme, l'ulcère, les hémorroïdes
et, surtout le Sida", révèle Dr Sy. Certains des produits seraient
sous forme de gélules et de comprimés. Pour le moment, le prix des
phytomédicaments en sirop et en poudre est de 700 francs Cfa.
Les produits sont bien appréciés également pour d'autres qualités.
"Les phytomédicaments n'ont rien à envier aux médicaments modernes
car ils ont les mêmes propriétés, sont moins toxiques et les risques
d'effets indésirables sont très infimes", confirme Landing Sadio,
pharmacien dans l'une des plus vielles pharmacies de Dakar. "Les
phytomédicaments sont très prisés par toutes les classes de la population",
affirme-t-il.
Toutefois, il n'est pas rare que les pharmacies soient en rupture
de stocks. "Nos stocks de phytomédicaments s'épuisent très rapidement,
tellement la demande est grande", se plaint joyeusement la responsable
d'une autre grande pharmacie non loin de la première.
UN BEL AVENIR
Les phytomédicaments sont distribués actuellement dans certains
postes de santé communautaires des quartiers populaires de Dakar,
comme Khadimou Rassoul, Colobane, et Al Baraka. Une trentaine de
pharmacies des villes de Dakar, Mbour et Kaolack consacrent, depuis
1995, un rayon spécial à ces nouveaux produits. "Le test d'acceptabilité,
par les populations, à été très positif", souligne Sy à Ips. "L'objectif
visé par ce programme est de parvenir à faire remplacer certains
médicaments modernes par des phytomédicaments, au sein des quartiers
démunis", ajoute-t-elle. Mais cet objectif a tendance à se généraliser
davantage. "Vu la conjoncture économique actuelle, je pense que
les phytomédicaments prendront tôt ou tard les devants", estime
Sadio. L'achat des médicaments pèse lourd sur le budget familial.
"Environ 48 % des dépenses de santé des familles sénégalaises vont
à l'achat des médicaments dont les prix ont connu une hausse de
20 % après la dévaluation" du franc Cfa en janvier 1994, précise
une étude publiée par la Banque mondiale, en février 1995.
Le Centre communautaire de technologie appropriée pour la santé
(Cctas), situé à Yeumbeul, dans la banlieue de Dakar, est l'un des
cinq centres répartis sur quatre régions du Sénégal - Dakar, Kaolack,
Kolda et Louga - où sont expérimentés certains phytomédicaments.
Les chercheurs du laboratoire TradiPharma du Cctas expérimentent
actuellement des phytomédicaments tels que la Brassica oléracéa
(Souponée) pour des gastrites et l'Acacia nilotica (Nebneb) utilisé
dans le traitement des plaies chroniques. Ces recherches sont sous
le contrôle de la Direction de la pharmacie. "Ce qui démontre une
réelle volonté de l'Etat de valoriser la médecine traditionnelle
et les phytomédicaments", déduit Cheikh Tidjane Thiam, chercheur
principal et président du Cctas.
"Les Médicaments traditionnels améliorés (phytomédicaments) constituent
une perspective intéressante pour les populations, en majorité démunies",
souligne Dr Ngom de l'Oms, qui annonce que "d'ici à la fin du mois
de décembre prochain, il y aura une loi autorisant officiellement
la vente de certains de ces produits dans les officines".
Lire l'article original : http://www.lequotidien.sn/archives/article.cfm?article_id=6383&index_edition=186
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