Mutations : Il y a quelques années, on nous
a présenté le générique comme une solution à l'inaccessibilité du
médicament au Cameroun. Curieusement, il est introuvable...
Dr Pierre Sopngwi : Les médicaments
génériques sont effectivement disponibles sur l'ensemble du territoire.
Le problème majeur reste de faire une promotion intense au niveau
des acteurs principaux que sont les médecins et pharmaciens. Les
coûts très élevés de cette promotion sont un handicap majeur pour
sa mise en œuvre. Premier handicap: l'information. Il faut donner
une définition exacte et compréhensive du générique : un médicament
original, ou "princeps", est un médicament protégé pendant vingt
ans par un brevet. Lorsque cette protection tombe, le laboratoire
pharmaceutique qui l'a découvert en perd l'exclusivité. Les autres
laboratoires ont alors le droit de fabriquer et de commercialiser
un médicament identique à ce "princeps", ce médicament est alors
appelé "générique". Le médicament générique n'ayant pas à supporter
les frais de recherche et de développement, le laboratoire qui le
produit peut le proposer à un prix inférieur à celui du médicament
original. Il est ainsi en moyenne 30% moins cher. Dans certains
cas le médicament générique est 50% à 70% moins cher. Le générique
est fabriqué selon les même exigences que le médicament original
et soumis aux mêmes contrôles de qualité pour sa fabrication et
son conditionnement. Comme tous les médicaments, il doit obtenir
une autorisation de mise sur le Marché. Il possède la même composition
qualitative et quantitative en principe actif que le médicament
original. Son mécanisme d'action, son efficacité, sont identiques.
Il soigne et soulage de la même manière que le médicament princeps
; le traitement reste le même dans sa durée et agit de la même façon
avec les mêmes effets ". De cette définition on comprend facilement
que la baisse de coût permet une meilleure accessibilité. Au niveau
de la qualité, disons qu'un générique a le même potentiel thérapeutique
que le produit " innovant ". Quant aux stocks, la Cename dispose
d'un imposant stock et de plus en plus dans le secteur privé, il
y a des entreprises comme la Ccp (Compagnie camerounaise pharmaceutique),
et certainement d'autres, qui se sont spécialisées dans la distribution
du générique.
Mutations : On parle tantôt de médicament générique,
tantôt de médicament essentiel. C'est quoi la différence entre les
deux ?
Dr Pierre Sopngwi : Un médicament
générique peut ne pas être essentiel. Un médicament essentiel peut
ne pas exister en générique (ex: nouveau Arv). Au Cameroun, nous
avons besoin des médicaments essentiels génériques.
Mutations : Quels sont, d'après vous, les principaux
blocages à la vulgarisation du médicament générique au Cameroun
?
Dr Pierre Sopngwi : Le principal
blocage reste les coûts très élevés car dans cette promotion, il
y a également une formation au niveau du personnel médical : aujourd'hui,
certaines personnes ne comprennent pas encore pourquoi il y a parfois
une différence aussi importante au niveau des coûts.
Mutations : Certains pharmaciens, par exemple,
estiment que le générique ne rapporterait pas autant que les médicaments
originaux…
Dr Pierre Sopngwi : C'est vraiment
dommage encore une fois. Je pense que l'information ne circule pas
assez. Plus haut, j'ai parlé des acteurs principaux que sont les
pharmaciens et les médecins. Au niveau des pharmaciens, l'information
ne circule pas assez car il faut prendre en compte les points ci-dessous
: (1) Prix élevé entraîne une réduction importante de l'accessibilité
donc diminution du nombre de patients en officine. (2) Les marges
des médicaments génériques sont en moyenne de 100% pour les pharmaciens
contre 20% pour les médicaments non génériques. (3) 95% des produits
vendus au Cameroun sont génériquables et la plupart de ces produits
sont vendus en brand-name (nom de marque). Les moyens de promotion
sont ainsi financés par le patient et même par le pharmacien (car
il y a diminution des marges). Sur le pan strictement comptable,
l'introduction des génériques (avec marge minimale de 100%) permet
aux officines de gagner de l'argent et d'augmenter leur levier de
trésorerie (Ex: chiffre d'affaire de 10.millions avec marge de 25%;
ou encore six millions de chiffre d'affaires avec 100% de bénéfice).
Les pharmaciens en s'engageant dans les génériques sont gagnants
dans tous les domaines. Là encore l'information n'a pas circulé
et sur ce point, j'accuse les conseillers financiers des pharmaciens
qui ne jouent pas vraiment leur rôle car il faut en permanence adapter
son outil de production aux exigences de l'actualité. L'Omc vient
de signer à Genève un important accord, qualifié par le directeur
de l'Oms d'historique, sur les médicaments génériques. Cet accord
devrait changer l'environnement pharmaceutique des pays pauvres,
en leur donnant les moyens de fabriquer des médicaments, d'importer
des copies génériques de traitement brevetés en cas de grave crise
sanitaire comme le sida, le paludisme, la tuberculose…
Mutations : Le générique, jusqu'ici, ne bénéficie
d'aucune promotion alors que l'Etat continue de laisser le champ
libre aux grands laboratoires pharmaceutiques dont on imagine les
profits. Que cache cette manœuvre et quelles sont les conséquences
éventuelles sur la politique pharmaceutique du Cameroun ?
Dr Pierre Sopngwi : Le générique
ne présente pas seulement une solution de disponibilité mais également
et surtout une solution d'accessibilité. La politique pharmaceutique
camerounaise prévoit une très large place pour les médicaments essentiels
génériques. Après la dévaluation du FCfa, il y a eu une grande action
de la part du gouvernement pour rendre le médicament disponible
et accessible. Cette action a abouti à la création de la Cename
(Centrale nationale d'approvisionnement en médicaments essentiels)
qui assure une très grande et large distribution. De manière générale
on a la chaîne de distribution suivante : Cename - Capp - Structures
hospitalières - Malades.
Mutations : Mais il faut aussi préciser qu'il
y a certains hôpitaux et confessionnels qui achètent directement
à la Cename...
Dr Pierre Sopngwi : Cette large diffusion
des médicaments permet, je le pense, de faire également une grande
promotion. L'action du gouvernement sera efficace par une grande
complémentarité du secteur privé car n'oubliez pas qu'avant la dévaluation
du FCfa, le secteur privé assurait 90% de la disponibilité du médicament.
En ce qui concerne le secteur privé, nous avons suivi les efforts
du gouvernement, car il y a une introduction progressive des médicaments
génériques dans les officines. Cette pénétration est encore faible
mais rassurez vous, elle est inévitable. Quand on parle de pénétration
des génériques dans le marché privé, il faut bien noter qu'elle
concerne uniquement les génériques vendus sous Dénomination commune
internationale (Dci). Les autres médicaments génériques présentés
sous un nom de marque ne sont pas concernés. Dans le privé le mode
d'approvisionnement qui a existé avant la dévaluation et qui continue
encore pour la majorité ne favorise pas une introduction facile
des génériques dans le secteur privé. Les pharmaciens d'officines
qui sont les principaux acteurs se rendront progressivement compte
de la situation et pourront par conséquent réviser leur stratégie
afin d'assurer une introduction des génériques à hauteur de 50 ou
60%. L'augmentation récente du nombre d'officine sur tout l'ensemble
du territoire est également très encourageante car la multiplication
des points de vente augmente la disponibilité. Dans le secteur public,
nous n'avons pas assez d'éléments pour apprécier l'efficacité de
la chaîne de distribution qui semble assez longue. En effet cette
chaîne laisse entrevoir trois points importants de gestion : la
Cename, les Capp et les hôpitaux. Les questions importantes qui
pourraient apporter des réponses utiles et qui interpellent les
pouvoirs publics sont: les points de gestion ne constituent-ils
pas un handicap et une augmentation des coût? Quel est le niveau
de liberté d'achat qu'on accorde aux Capp et aux hôpitaux? Peut-on
exactement évaluer les coûts que cette chaîne de distribution génère?
Exemple: Un médicament offert à la Cename au prix zéro franc se
retrouvera chez le malade à quel prix? Une exclusivité d'achat serait
à mon avis un handicap très important car les Capp et hôpitaux qui
sont les principaux acteurs du public doivent à leur niveau respecter
les règles de gestion de manière à augmenter leur rentabilité et
par conséquent leur pérennité.
Propos recueillis par Roger A. Taakam
Lire l'article original : http://www.quotidienmutations.net/cgi-bin/alpha/j/25/2.cgi?category=10&id=1063102873
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