C'est avec nonchalance et dépit mal contenus que
le médecin vous prescrit une ordonnance qui risque de vous transformer
la minute d'après en nouveau mendiant dont la seule faute est de
vouloir vivre en bonne santé. " Thiat mo gaaw ! ". Ce
sera immanquablement une ardoise que vous vous coltinerez toute votre
vie active avec des rues interdites à votre liberté de circulation
ou -Ô désespoir- une discrète incursion à Keur
Seugn-bi où les caisses de médicaments flambant neuf sont
écoulées pour deux fois rien dans un réseau bien
huilé. " Bi mba béé-rekk ! ".
Si vos moyens ne font pas le poids, votre " neew doolé "
vous transforme en croisé radical contre la médecine des
" toubabs ". Vous vous rabattez -en essayant de théoriser
votre attachement aux traditions-sur le " sangol ", le "
reenou sindjeng " et autres " Mbanta maaré ". La
médecine d'aujourd'hui est devenue l'affaire d'élites hors
du besoin.
Un rescapé d'accident de la circulation qui écope d'un méchant
trauma crânien n'est plus un objet de curiosité. Pas de quoi
fouetter un médecin. Le toubib de garde lui demandera, blasé,
une paperasse et des garanties, histoire de s'assurer que l'hospice ne
se retrouvera pas sur la paille avec des malades qui iront juste faire
un tour chez eux -en oubliant de repasser-une fois revenus des ruelles
de " alaakhira ".
C'est pourquoi les gémissements de comateux nébuleux, ramassés
par des volontaires, déclencheront les " tchipatou "
d'un " doctoore " qui travaille en heures sup non payées
par l'hosto et qui se pose des questions lancinantes sur sa vocation et
son serment d'hippocrate qu'il se surprend à assimiler à
un franc rêveur qui aurait dû échoir en pleine crise
et crach boursier permanent, comme les nombreux goorgorlous de Sunugaal.
Le médecin essaie cependant tant bien que mal de garder-sans trop
y croire- ses airs de rédempteur derrière ses lunettes en
fond de bouteille, signe infaillible de sa science. Une décennie
d'études, ça se voit dès le premier coup d'oeil.
Le malade de son côté retient son souffle chaque fois qu'il
franchit le pas de l'hôpital avec des pavillons aux noms baroques
-Laennec- qui sonneront comme un appel au désespoir-" Looy-nec
? "- et un défi à son entendement de " doomu djoloff
". Il frissonnera, lorsque venu en consultation, il verra des macchabées
que de macabres garçons de couloirs ayant des airs de professeurs
de médecine, sortiront les pieds devant sans se soucier des états
d'âme des autres malades devenus des morts-vivants, en ne ratant
pas l'occasion d'arnaquer les patients. Il priera le ciel pour ne pas
tomber sur un médecin avare en parole qui l'engueulera quand il
posera des questions sur son " métit " qui le tue à
petit feu et lui dira que les lits sont tous occupés.
Aux accompagnateurs stoïques de malades, il ne restera que le chapelet
à égrenner, en guettant les séances improvisées
de prières pour les souffreteux et les comateux qu'un maara prétentieux
de passage à Le Dantec distillera pour se donner une popularité.
En attendant les autres malades qui s'ignorent peuvent prier de tenir
encore sur leurs deux jambes, sans se priver de se tuer sur un mafé
kandja gluant ou un tiebu djenn dégoulinant-problèmes cardiaques
garantis !-jusqu'à ce qu'un mal prétendument incurable les
agrippe et décide que c'est le terminus. Ce n'est pas pour rien
que les prières adressées au bon Dieu sont saturées
de demandes de bonne santé et de
Cfa. Le paradis en stand-bye
Mansour DIOUF
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l'article original : http://www.sudonline.sn/archives/30102002.htm
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