"
Si un autre test de dépistage du VIH/SIDA est organisé dans
mon village, je serai la première sur la liste ".
Delphine Nana, 19 ans, a été dépistée négative
lors de son premier test le 5 juin 2002 à Tanghin-Dassouri (10
km au Sud de Ouagadougou).
Par son courage et son esprit d'initiative, Delphine est devenue une figure
emblématique de la lutte contre les IST/VIH/SIDA à Tanghin-Dassouri.
Paire éducatrice, elle sensibilise ses camarades sur les méthodes
de prévention du Sida. Dans ce combat, Delphine sait qu'elle n'a
pas le choix. " Si demain la maladie se propage dans ce village,
nous, pairs éducateurs, en serions les premiers responsables ",
lance-t-elle, défiante.
Comme Delphine, 157 autres jeunes ont été formés
par l'Association laafi la viim (ALAVI - la santé c'est la vie
en langue mooré) pour contrer la propagation de la pandémie
à Ouagadougou et dans cinq départements (Gourcy, Léna,
Saaba, Sourgou, Tanghin-Dassouri). " Dans le cas présent,
les pairs éducateurs sont des jeunes dont l'âge est compris
entre 10 et 25 ans pris dans un groupe-cible pour livrer des messages
de développement à leurs camarades de la même tranche
d'âge ", explique Claudine Wébamba, vice-présidente
de ALAVI. Dans le cadre de ce programme, ils sont deux -un garçon
et une fille- par localité.
" Parce qu'ils sont très vulnérables, les jeunes et
les femmes sont les deux groupes-cibles de notre association", indique
Seydou Kaboré, secrétaire exécutif de ALAVI dont
la création remonte au 7 juillet 1995 à Bobo-Dioulasso.
Débuté en fin 2001, ce programme concerne 79 villages et
vise à favoriser une prise de conscience chez les jeunes et adolescents
dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre les IST/VIH/SIDA.
L'accent est mis sur les avantages du dépistage précoce,
anonyme et volontaire.
" Nous insistons également sur la nécessité
d'une prise en charge adéquate des orphelins du Sida, des PVVIH
et sur l'intérêt que ces derniers ont à adopter un
comportement à moindre risque, " souligne Seydou Kaboré.
" Cela leur évite d'infecter les autres et de se surinfecter
."
Les activités, qui ont touché plus de dix mille jeunes,
ont bénéficié de l'appui financier du Fonds des Nations
unies pour la population (FNUAP) pour un montant de huit millions de FCFA
; le volet technique ayant été assuré par le Conseil
national de lutte contre le SIDA et les IST (CNLS-IST) et le ministère
de la Santé.
Grâce à une aide de six millions de FCFA du Fonds des Nations
unies pour l'enfance (UNICEF), le programme s'est attaché les services
de la troupe du célèbre comédien M'ba Boanga du sit-com
" Vis-à-vis ". Cette troupe a donné six représentations
publiques sous forme de théâtre forum sur le Sida. Ce financement
a aussi permis de réaliser des jeux concours radiophoniques par
la Radio rurale, afin d'inciter les villageois à mieux s'informer
sur la pandémie. Les lauréats gagnent un poste radio et
des condoms.
Un changement de comportement perceptible
Plus de 70% des infections à VIH qui se produisent dans le monde
sont dues aux rapports hétérosexuels. Si en Afrique, les
femmes sont particulièrement exposées aux risques d'infections
à VIH, c'est parce qu'elles ne sont pas maîtresses de leur
corps. Et c'est à ce niveau que le travail de proximité
des organisations à base communautaire est on ne peut plus déterminant
; tant et si bien que de nos jours le langage des jeunes filles tranche
d'avec celui de leurs aînées.
Salamata Kaboré (18 ans) du village de Lougsi (15 km de Ouagadougou),
est formelle. " J'irai faire le test du VIH/SIDA. Mais si mon petit
ami refuse de faire le sien, on se quitte".
Ainsi que le fait remarquer Seydou Kaboré, au-delà d'un
certain âge, il est difficile de faire quelqu'un. A contrario, les
jeunes, lorsqu'ils sont convaincus, adoptent facilement des comportements
à moindre risque. En cela , ils sont un rempart contre la propagation
du virus. "
Du fait de la sensibilisation, plusieurs jeunes de Tanghin-Dassouri ont
déclaré porter maintenant la capote lors des rapports sexuels
alors qu'au lancement de la campagne, ils ne savaient pas l'utiliser.
Le programme a aussi permis à cent jeunes de Tanghin-Dassouri de
connaître leur statut sérologique.
Le taux de séroprévalence du VIH/SIDA au Burkina oscille
entre 7 et 10% selon les sources. Si l'on en croit l'OMS (Organisation
mondiale de la santé), le pays compterait 800 000 séropositifs
environ et 200 000 orphelins du Sida.
Aux petits soins des malades
Depuis 1998, ALAVI dispose d'un centre opérationnel pour les tests
de dépistage, la prise en charge thérapeutique et psychosociale
des PVVIH et leurs familles. Entre janvier et mars courant, 26 personnes
(sur un total de 86) y ont été dépistées positives
dont 16 de sexe féminin et 10 de sexe masculin. Avec un personnel
léger, le centre assure la prise en charge de près de 600
personnes. L'exemple de cette jeune femme est éloquent. Ayant mal
accepté sa séropositivité, elle s'est repliée
sur elle-même… Lorsqu'elle renoua avec l 'association, sa santé
s'est beaucoup dégradée.
Mais soutenue par le personnel et le groupe de parole, elle a rapidement
récupéré un bon nombre de CD4 (défenses de
l'organisme). Aussi n'a-t-elle plus été mise sous anti-rétroviraux
(ARV), chose que ses parents s'apprêtaient à faire. Aujourd'hui,
la jeune femme a repris ses activités, et aborde la vie avec un
peu plus d'optimisme.
" Le traitement à base d'ARV n'est pas systématique
", prévient Jean-Louis Ouédraogo, un des deux médecins
du centre. " C'est lorsque le nombre de CD4 descend en dessous de
350 par ml de sang qu'il faut l'envisager. Les ARV, non seulement ils
sont lourds pour l'organisme, mais en plus, ils coûtent cher. "
En dépit d'une baisse significative de leurs prix, peu nombreux
sont les malades burkinabè en mesure de débourser mensuellement
82 000 FCFA pour une thérapie à base de Combivir et Stocrin.
Pour le moment, quelques membres actifs de l'association obtiennent gratuitement
les médicaments. ALAVI fait partie des associations qui plaident
en faveur d'une réduction plus drastique des prix de ces ARV. Mais
en réalité, leur gratuité permettrait de sauver plus
d'un ; car quoi qu'on dise, ces produits permettent aux malades de vivre
et d'espérer.
" Je viens de voir un malade qui a commencé son traitement
avec des CD4 à 7, lance Jean-Louis Ouédraogo. L'examen de
ce matin en révèle 228. Je suis vraiment content. Mais il
faut dire qu'il peut s'acheter les médicaments. Si la plupart des
malades ne s'en sortent pas, c'est parce qu'ils n'ont pas les moyens nécessaires
pour le traitement. "
Lever l'hypothèque sur le développement
Dans ce pays où la pauvreté touche près de la moitié
de la population, le SIDA est devenu un problème de développement
par les ravages qu'il fait au sein des forces vives. En raison de son
caractère universel, il doit être combattu à tous
les échelons et chacun doit s'engager et jouer son rôle.
Ainsi, qui mieux que les associations est en mesure de lutter efficacement
contre les maux connexes que sont la stigmatisation et la discrimination
des PVVIH ?
" Un jour, une femme a effectué son dépistage chez
nous, raconte Seydou Kaboré. Comme il s'est avéré
qu'elle est positive, elle a convaincu son mari de faire le test, qui
s'est révélé négatif. Le centre les a bien
conseillés et, chose plutôt rare, le mari a décidé
de ne pas la répudier, mais au contraire de la soutenir ".
La croisade contre l'épidémie sera rude et semée
d'embûches ; cependant les quelques avancées notables au
plan comportemental permettent d'espérer. Aussi faut-il convenir
avec Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU,
qu'" en fin de compte, c'est au niveau des communautés locales
(et nulle part ailleurs) que ce combat sera livré et gagné".
Abdoulaye GANDEMA
Lire l'article original : http://www.sidwaya.bf/sitesidwaya/sidawaya_quotidiens/sid2002_11_14/sidwaya.htm
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