Ils
errent à longueur de journée à travers les rues des grandes agglomérations.
Les habits en lambeaux, les cheveux crasseux, les malades mentaux chroniques
qualifiés à tort ou à raison de fous font l'objet de méfiance et rejet.
Et pourtant, ils ne sont que la face visible des malades mentaux. "Lorsque
j'apparais, chacun prend la tangente, je ne sais pas pourquoi ? Ils disent
que je suis fou". Les propos de ce malade traduisent les préjugés que
de nombreux Burkinabè ont des malades mentaux communément appelés "fous".
Du moins ceux qui ont perdu le nord.
Et pourtant, ils sont aussi nombreux les malades mentaux. Près de 400
millions dans le monde selon l'OMS.
Pour
le Dr Jean-Gabriel Ouango, psychiatre et secrétaire général du ministère
de la Santé, "le fou est une personne qui a un comportement autre que
celui admis et qui dit des choses insensées.
Le terme fou est souvent péjoratif". Pour les spécialistes de la santé
mentale, un fou est une personne qui est véritablement atteinte d'un problème
de désinsertion grave. Il n'est pas juste de parler de folie quand il
s'agit de personnes fragiles (épileptiques, femmes enceintes) qui ont
exprimé une souffrance par le délire, ou l'agitation.
Les
hôpitaux burkinabè qui ont les compétences et la capacité de prendre en
charge des maladies mentales ne reçoivent, en fait, que les malades chroniques.
"La santé mentale est un domaine où il y a une souffrance psychologique.
Cette souffrance se réfère à l'organisation sociale, aux croyances et
aux coutumes. Les interprétations de ces maladies font que l'on soigne
le malade, la maladie en fonction de la réponse que l'on donne à son affection.
Le malade est traité au sein de sa communauté par la médecine traditionnelle.
Lorsqu'il y a échec, il est conduit vers les hôpitaux", explique le Dr
Ouango.
A
la psychiatrie de l'Hôpital national Yalgado Ouédraogo (HNYO), le chef
de service,le Pr Arouna Ouédraogo, explique que les patients y arrivent
selon trois cas de figure".
"Les malades viennent d'eux-mêmes parce qu'ils en sentent le besoin, ils
sont amenés par la famille et dans un contexte d'urgence par les forces
de sécurité quand il y a trouble de l'ordre public...".
"L'Hôpital reçoit en moyenne 60 à 100 malades par semaine. La clientèle
est composée d'adultes jeunes de 25 à 35 ans".
Au
nombre des maladies mentales recensées dans les hôpitaux, les cas de bouffée
délirante aiguë sont les plus nombreux.
Une maladie d'apparition brutale qui peut se déclencher chez l'individu
face à un problème important. Il y a également la dépression qui se manifeste
lorsqu'on est triste ou malheureux. Elle se caractérise par l'absence
d'intérêt ou parfois le désir de mourir. La schyzophémie est la plus longue
des maladies chroniques ; et la plus grave. "Ceux qui en souffrent, soutient
Dr Ouango, sont coupés de la société... ils ont des difficultés relationnelles
avec leur entourage et leur environnement. Beaucoup de ces malades se
promènent nus, au soleil... ils n'ont conscience de rien ; nombreux sont
perdus et errent dans la nature".
La
majorité des malades mentaux ignorent leur état. Ceux que le Dr Ouango
appelle le grand groupe de troubles névrotiques. Les jeunes en sont les
principales victimes.
Les raisons se trouvent dans les difficultés relationnelles avec leurs
parents. "L'enfant peut reprocher à ses parents de n'être pas à la hauteur
de ses attentes. Cela laisse transparaître des fractures dans le processus
normal. Entre le désir et la réalité apparaît un trou dans lequel se développe
la maladie mentale". La classification des maladies mentales répond à
des aspects de comportements et de pensée.
On peut guérir de ces maladies
"On peut bien guérir des maladies mentales. "Un patient qui fait une bouffée
délirante aiguë dans 80% des cas guérit complètement, dans 10%, il y a
quelques fois rechute et dans les 10% autres, il y a une évolution vers
la chronicité : schyzophdénie, paranoïa, spycho-maniaco-déprimante.
Les causes de certains comportements violents diagnostiqués et traitées
disparaissent. A titre d'exemple, on peut citer la tumeur cérébrale. L'aide
de la communauté est un autre facteur de guérison totale. Or, dans la
perception générale, le malade mental reste un fou dont on se méfie. Il
importe d'intégrer la personne victime dans son identité sociale, que
les employeurs ne considèrent pas la personne qui a une défaillance comme
définitivement perdue", estime le Dr Ouango.
Au
Burkina, le programme national de santé mentale a été réactualisé pour
intégrer la prise en charge au traitement. La formation des agents de
santé a été développée, les infrastructures ont été multipliées et des
médicaments efficaces pour le traitement sont disponibles. Plus de cabanons
où les malades seraient enfermés : "Nous avons pu depuis une vingtaine
d'années résoudre progressivement ce problème.
Les services de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso ont été réhabilités.
Les malades y sont traités par des psychiatres, des psychologues, des
travailleurs sociaux. Nous
avons formé des attachés de santé et infirmiers spécialistes qui travaillent
dans les provinces", explique le Dr Ouango.
Le
Pr Arouna Ouédraogo décrit la prise en charge des patients à l'hôpital
Yalgado. Il y a d'abord une démarche diagnostique pour comprendre le phénomène.
Plusieurs types de traitements sont ensuite mis en œuvre . D'abord par
des médicaments avec des substances disponibles, ensuite par une démarche
verbale et par un troisième volet qui est la réinsertion sociale et professionnelle.
Avec la recrudescence des maladies mentales, des individus ou même des
associations religieuses en ont fait un "fond de commerce". Des "thérapeutes"
sans aucune connaissance en la matière abusent des malades mentaux."Nous
avons fait une enquête qui révèle que certains malades sont traités comme
des animaux.
On les attache au soleil, à l'air libre et souvent au milieu de leur excrémas",
révèle le Pr Ouédraogo. Cependant, reconnaît le Dr Ouango dans certains
groupes de prière, les malades mentaux y trouvent leur compte. "L'intérêt
de sa communauté pour le malade l'aide et le réconforte".On ne saurait
jeter le discrédit sur des personnes de bonne volonté.
Un
danger public ?
A
des degrés divers, les malades mentaux constituent un danger public pour
la quiétude de la société. Les citadins sont l'objet de plusieurs agressions
physiques et de destruction de biens. Les forces de l'ordre sollicitées
en pareille circonstance ne peuvent que maîtriser le malade violent et
le conduire à l'Hôpital. Après les soins d'urgence, le malade reprend
le chemin de la rue, faute d'accompagnant. Et pourtant, il est reconnu
que les malades pris en charge sont ouverts aux traitements.
Face à l'errance des malades chroniques, les pouvoirs publics interpellés
ne peuvent tout faire. Les spécialistes en santé mentale regroupés en
association promettent de changer les choses. Le projet ambitieux qu'ils
ont mijoté promet de créer un centre d'accueil où les malades mentaux
pourraient se ressourcer ( se laver, se reposer, se restaurer).
L'objectif visé étant une réinsertion sociale de cette catégorie de marginalisés
qui ont tout perdu et qui ont besoin des autres pour retrouver leur personnalité.
Marceline ILBOUDO
Lire l'article original :
http://www.sidwaya.bf/sitesidwaya/sidawaya_quotidiens/sid2002_11_29/societe_1.htm
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