Cette
fois la fièvre typhoïde a dépassé le seuil
du tolérable où elle se faisait chasser par le chloramphénicol,
parce qu’elle provoque déjà un phénomène
de morbidité marqué par la perforation des intestins
du malade
La semaine écoulée, la ville de Kinshasa, sans s’être
remise du choc des bulldozers et de l’insécurité
récurrente et surtout sans avoir digéré les
témoignages poignants de notre dossier sur le diabète,
s’est retrouvée, comme dans un cauchemar, confrontée
à une nouvelle calamité. Il s’agit de la fièvre
typhoïde que les conditions misérables de la population
ont élevée au rang de la "péritonite".
Ainsi alerté, une descente sur le terrain a permis d’en
avoir le cœur net. Ci-dessous, les résultats de l’enquête.
Les patients ou leurs proches, le personnel soignant, les gestionnaires
et manufacturiers de l’eau, ce liquide vital, les scientifiques
et les représentants du gouvernement ont donné de
la voix à ce chapitre.
Effet, la sonnette d’alarme a été donnée
depuis le 18 novembre par le Dr Diabeno, président de l’Ordre
des médecins et chirurgien à l’Hôpital
général de Kinshasa (ex-Mama Yemo). Lui et son équipe
ont eu à opérer quelques cas dus à la complication
de cette fièvre typhoïde, Ils ont appelé cela
"péritonite". Ils s’en sont même dits
débordés devant l’affluence des cas nouveaux
à leur institution hospitalière. Des cas en réalité
mal pris en charge ailleurs et qui se sont aggravés.
Réaction du gouvernement
Après le communiqué annonçant l’existence
de l’épidémie, le gouvernement a réagi
après quelques heures. Mme Anastasie Moleko, ministre de
la Santé, s’est adressée à son tour à
la population presque en ces termes : "Une infection perforatrice
des intestins fait ravage dans la population. Les compatriotes des
banlieues en sont le plus touchés. Les centres médicaux
sont débordés. Le gouvernement de la République
a mis des médicaments à leur disposition. Le peuple
doit veiller au grain. En cas de fièvre, des douleurs abdominales
et des selles liquides, il faut voir un médecin avant que
n’arrive l’état de la perforation des intestins
au bout de 21 jours. Ainsi, comme précaution, l’observance
de nos vieilles règles d’hygiène est recommandée.
Se laver les mains avant le repas et après les selles demeure
indispensable. L’eau doit être bouillie avant sa consommation.
Les repas doivent être pris quand ils sont chauds".
Voilà en substance la déclaration pleine d’enseignements
et de volonté de vaincre le fléau. En dépit
de la clarté de ce message, la population paniquée
s’est livrée à des spéculations au point
de provoquer l’aversion de consommer certains aliments pourtant
vitaux sur le marché. Une vieille dame, après avoir
suivi un journal télévisé, a éclaté
en sanglots, ces mots suspendus à ses lèvres : "Que
boirons-nous ? Que mangerons- nous ? N’est-ce pas la fin du
monde ?"
Une famille dans la tourmente
A Kimbanseke, la famille de feu Badimani Kilubuya, résidant
sur avenue Ebengo, N° 71 bis du quartier Mikondo, vit dans une
grande tourmente. Le père ayant rendu l’âme ce
18 novembre, ses enfants sont contaminés par la maladie.
Leur source d’infection n’est pas à chercher
ailleurs. Badimani Junior, l’adolescent orphelin qui accuse
déjà des signes cliniques de la maladie, s’est
confié au Potentiel en ces mots : "nous avons commencé
à boire l’eau de la Regideso depuis ce 15 novembre.
Depuis toujours, nous nous alimentons en l’eau des puits qui
ne sont pas loin d’ici. On voulait s’épargner
de difficultés qu’il y a à payer les factures..."
Cette famille minée par la pauvreté espère
néanmoins être prise en charge par les Ong philanthropiques.
Et peut-être par l’Etat, le garant de la vie sociale
de son peuple.
Des cas semblables à celui de la famille du pauvre Badimani
sont légion dans ces cités dortoirs de Masina, Kimbansenke,
Nsele (Mikonga et Mpasa) où les borne-fontaines installées
çà et là par quelques Ong charitables sont
numériquement insignifiantes. L’envahissement de ces
coins par les plus démunis, à bout de souffle du loyer,
nécessite l’alimentation de ces quartiers en eau courante
et électricité. Le troisième millénaire
doit être porteur d’espoir pour tous.
Point de vue d’un médecin
Le Dr. Kabamba Mbwebwe, chirurgien à l’Hôpital
général de Kinshasa, a accepté de nous recevoir
malgré le volume du travail en cette période de crise.
La quintessence de l’entretien que nous avons voulu sobre
a été centrée sur les mesures d’hygiène
qui doivent être renforcées quand on sait le laisser-aller
qui caractérise le Congolais. Et de manière concomitante
sur des mesures politiques sévères qui devraient être
envisagées pour contenir le fléau. En effet, le docteur
ne voit pas comment faire face à cette maladie rien qu’avec
les médicaments, du reste insuffisants et les interventions
chirurgicales. "Mieux vaut prévenir que guérir".
L’adage est connu de tous. Le mal s’il faut bien l’attaquer,
a dit le Dr. Kabamba, c’est en commençant le boulot
en amont.
Sur ce point précis, le gouvernement, bien que s’étant
dédouané par l’apport des médicaments
dans les centres de santé tries sur le volet — ce qui
est de son devoir légitime et qui devait être accompli
sans attendre l’épidémie — doit avoir
le courage de :
- s’attaquer aux centres de santé gérés
par un personnel douteux ;
- de contrôler systématiquement les fabricants d’eau
dite "pure"à quoi il manque le petit phonème
‘i’ pour devenir "pire";
- de supprimer les restaurants de fortune installés à
tout coin de rue ;
- d’interdire la vente de l’eau en sachets dont le
conditionnement et la conservation posent problème.
Bien avant ces dispositifs, le Dr. Kabamba a remarqué que
l’épidémie ne date pas d’aujourd’hui.
C’est depuis avril de cette année que les malades se
sont manifestés. Au départ, c’était des
cas isolés, puis 12 à 15 patients par semaine se sont
présentés à l’Hgk.
La seule période du 1er octobre au 15 novembre, a connu l’arrivée
d’une centaine de cas. Voila qui a sonné le déclic.
Le malheur dans tout cela n’est pas seulement le déficit
des médicaments et de la logistique nécessaire pour
la chirurgie, mais c’est surtout la venue tardive des malades
à l’hôpital, s’est encore plaint le médecin.
La population doit être éduquée pour mieux s’orienter,
voir le médecin et non les charlatans.
Certes, la culture et la connaissance ne suffisent pas. Le docteur
devrait le savoir aussi parce que l’on ne va pas voir le médecin
comme l’on va voir le pasteur du coin. Tant que la gestion
transparente des finances publiques et la lutte contre la pauvreté
ne se limiteront qu’au niveau de débat dans les salons
huppés de nos gouvernants, la population n’aura jamais
de beaux jours devant elle. L’enfer s’installera.
Et la fièvre typhoïde, loin d’être appelée
la maladie des mains sales, sera dite banalement « maladie
d’une ville sale » et incapable d’étancher
la soif de ses habitants.
Le Potentiel/Hilaire Kayembre
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