1. Introduction
Ce guide de pratique clinique couvre l’entièreté de la prise en charge des douleurs lombaires et radiculaires, depuis la première évaluation jusqu’à la reprise d’une activité professionnelle, y compris tous les types de traitements invasifs et non invasifs. Il se limite toutefois aux douleurs lombaires ª ou radiculaires qui ne sont pas causées par une pathologie sous-jacente spécifique sévère (infection, tumeur, ostéoporose, fracture, déformation structurelle, maladie inflammatoire, syndrome de la queue de cheval ou maladie neurologique grave).
Le terme « douleur lombaire » ne nécessite pas de définition particulière ; par contre, le terme « douleur radiculaire » est sujet à controverses. Dans ce guide de pratique clinique, nous définirons la douleur radiculaire comme une douleur des extrémités inférieures, siégeant dans un (ou plusieurs) dermatome(s). Chez certains patients, elle prédomine sur la lombalgie; chez d’autres, elle se manifeste de façon isolée. Les douleurs radiculaires ne présentent pas toutes une composante neuropathique (= douleur provoquée par une lésion du système nerveux) ; elles peuvent être associées ou non à des signes et symptômes neurologiques (insensibilité et/ou paresthésies dans le dermatome correspondant, perturbation des réflexes ou faiblesse motrice dans un myotome associé).
Ce guide de pratique clinique se veut multidisciplinaire ; il s’adresse à tous les dispensateurs de soins impliqués dans les lombalgies : kinésithérapeutes, médecins généralistes, spécialistes en médecine physique et réadaptation, anesthésistes-algologues, chirurgiens orthopédiques, neurochirurgiens, psychologues et autres cliniciens concernés par cette problématique.
1.1. Méthodologie
Les recommandations présentées ici proviennent en grande partie du guideline « Low back pain and sciatica in over 16s: assessment and management », publié par NICE le 30 novembre 2016.
Chacune des recommandations cliniques a été adaptée au contexte belge selon la méthode ADAPTE (www.adapte.org). Cette démarche a nécessité l’implication active d’un groupe multidisciplinaire de professionnels de la santé, appelé ci-après le Guideline Development Group (GDG).
Les différences entre la version belge et la version originale de NICE sont clairement soulignées dans le rapport scientifique.
Chaque recommandation est caractérisée par un niveau de force qui traduit le degré de confiance que le GDG accorde au fait que les effets désirables d’une intervention sont plus importants que ses effets indésirables. Ce niveau est défini sur la base de quatre éléments : la qualité des données probantes, le rapport risques-bénéfices de l’intervention, les valeurs et préférences des cliniciens et des patients et enfin, une estimation du coût (utilisation des ressources). Pour chaque recommandation, le niveau de force fait l’objet d’une discussion au sein du GDG. Il est ensuite exprimé selon une formulation précise :
- « Proposer » = recommandation forte en faveur de l’intervention ;
- « Envisager » = recommandation faible en faveur de l’intervention ;
- « Ne pas proposer » = recommandation forte en défaveur de l’intervention ;
- « Ne pas proposer systématiquement » = recommandation faible en défaveur de l’intervention.
ª Nous avons choisi d’éviter des termes comme « non spécifique » et « aspécifique » car leur signification est très variable dans la littérature existante.
En cas d’absence de donnée probante (p.ex. si aucune étude répondant à la question de recherche n’a été trouvée) sur un sujet considéré comme essentiel par le GDG, une opinion d’experts peut être formulée pour autant qu’un consensus soit obtenu au sein du GDG. Ces opinions d’experts sont articulées autour d’un verbe autre que « proposer » ou « envisager ». Pour plus d’informations sur la méthodologie utilisée, nous vous invitons à consulter le chapitre 2 du rapport scientifique.
2. Évaluation des douleurs lombaires et radiculaires
2.1. Anamnèse et examen clinique
L’anamnèse et l’examen clinique détaillés constituent la première étape essentielle de la prise en charge des patients présentant une lombalgie et/ou une douleur radiculaire. Ils permettent de faire un diagnostic différentiel et de déceler les signes d’une pathologie grave sous-jacente, même si ces pathologies sont rares.
Aucun examen particulier ne peut être recommandé. NICE a axé la recherche de littérature sur les examens cliniques spécifiques à effectuer en cas de douleur radiculaire uniquement et n’a trouvé aucune étude répondant à ses critères de recherche. Le GDG belge ajoute qu’aucun examen isolé n’allie une sensibilité et une spécificité suffisantes pour identifier la cause d’une douleur radiculaire, par exemple une hernie discale. Le plus important lors de l’anamnèse et de l’examen clinique est de s’assurer qu’il n’y a pas d’affection sévère sous-jacente aux douleurs lombaires et radiculaires. Cette recherche repose sur l’identification de signes et symptômes traditionnellement dénommés « drapeaux rouges ». Ici aussi, un drapeau rouge isolé présente une sensibilité et une spécificité très limitée, mais la combinaison de plusieurs d’entre eux (cluster) peut orienter vers une affection spécifique, pour autant qu’elle concorde avec l’impression clinique du praticien. La présence ou l’absence d’une affection spécifique sous-jacente devrait toutefois toujours être considérée comme une hypothèse plutôt que comme un diagnostic définitif et la détection des drapeaux rouges devrait être réitérée lors de chaque consultation.
Une liste de drapeaux rouges élaborée par le GDG est proposée dans le cadre 1. La prise en charge des patients avec drapeaux rouges sort du cadre de ce guide de pratique clinique.
Recommandations |
Niveau de la
recommandation |
Niveau de
preuve |
Gardez toujours à l’esprit les diagnostics différentiels lors de l’examen d’un patient présentant une douleur
lombaire ou radiculaire, en particulier en cas d’apparition de nouveaux symptômes ou de modification des
symptômes existants. Veillez à exclure les signes suggérant une pathologie sous-jacente grave (drapeaux
rouges) telle qu’un cancer, une infection, un traumatisme, une maladie inflammatoire comme la spondylarthrite
ou un problème neurologique sérieux comme le syndrome de la queue de cheval. |
Opinion d’experts |
Sans objet |
Encadré 1 – Liste de drapeaux rouges groupés par clusters (opinion d’experts)
Urgent (immédiat) |
Urgences neurologiques
- Symptômes neurologiques étendus (signes pyramidaux, troubles de la coordination, déficit moteur ou sensitif)
étendus (e.g. membres supérieurs, nerfs crâniens ou atteinte bilatérale) ;
- Symptômes neurologiques progressifs ;
- Hypoesthésie/Anesthésie périnéale ou « en selle », rétention urinaire, incontinence fécale ou urinaire, trouble
de l’érection (syndrome de la queue de cheval) ;
- Déficience motrice grave (Score MRC ≤ 3/5) < 48 h.
|
Action
Consulter un chirurgien du rachis |
Fracture traumatique
- Douleurs lombaires importantes après traumatisme à haute énergie ;
- Douleurs lombaires consécutives à tout traumatisme en présence d’une spondylarthrite ankylosante.
|
Action
CT & consulter un chirurgien du rachis si +
CT (IRM) & consulter un chirurgien du rachis si + |
Problème vasculaire
- Signes vasculaires (pieds froids, diminution du pouls artériel périphérique) pouvant évoquer une rupture
d’anévrisme aortique s’ils sont combinés à une lombalgie voire à un état de choc.
|
Action
Ultrasons & consulter un chirurgien vasculaire |
Semi-urgent (dans les 48h) |
Fracture pathologique
Douleur lombaire consécutive à un traumatisme mineur ou sans notion de traumatisme :
- Antécédents/risque d’ostéoporose ;
- Prise chronique de corticoïdes ;
- Douleur thoracique ;
- Âge avancé ;
- Perte de poids inexpliquée, fatigue ;
- Antécédents de cancer.
|
Action
Rayons X (CT)& Electrophorèse des protéines& Consulter un chirurgien du rachis si imagerie + |
Infection
- Signes objectifs (transpiration nocturne, fièvre, frissons) ;
- Abus de drogues intraveineuses ;
- Patient immunodéficient ;
- Perte de poids inexpliquée ;
- Antécédents connus ou concomitance d’une infection systémique ou risque d’infection ;
- Intervention chirurgicale récente ;
- Infection urinaire ou cutanée.
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Action
IRM& Analyses sanguines (p.ex. numération des leucocytes,
CRP, VS)& Consulter un chirurgien du rachis & un
interniste/infectiologue |
Moins urgent |
Tumeur
- Douleur d’apparition récente avant 18 ou après 55 ans ;
- Antécédents de cancer ;
- Perte de poids inexpliquée, fatigue ;
- Douleurs nocturnes sévères.
|
Action
IRM& Oncologie/radiothérapie& Consulter un chirurgien du rachis |
Maladie inflammatoire
- Douleur non mécanique constante et progressive ;
- (Douleur lombaire qui s’améliore à l’exercice mais pas au repos) ;
- Douleur nocturne sévère ;
- Raideur matinale > 30 min ou réveils nocturnes chez des patients jeunes.
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Action
Consulter un rhumatologue |
Divers
- Douleur postopératoire croissante ;
- Douleur lombaire insupportable & résistante au traitement >6 semaines ;
- Signes pyramidaux unilatéraux.
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Action
IRM& Consulter un spécialiste du rachis |
La sensibilité et la spécificité des drapeaux rouges sont limitées, surtout lorsqu’ils sont pris isolément ; l’attention des praticiens devrait se focaliser sur
l’association de plusieurs éléments (cluster) laissant suspecter une pathologie grave spécifique.
2.2. Stratification du risque
Il est bon de rappeler que la grande majorité des douleurs lombaires et radiculaires évolue spontanément de manière favorable et que seule une minorité de patients développera une limitation fonctionnelle persistante. Identifier ces patients dits « à risque » et leur proposer une prise en charge spécifique pour tenter d’éviter ce passage à la chronicité doit faire partie intégrante de la prise en charge.
L’étape d’évaluation (ou de stratification) du risque est donc primordiale. Elle consiste à rechercher les éléments signalant une susceptibilité élevée de développer des douleurs chroniques et invalidantes. Ces facteurs de risque peuvent être d’ordre psychologique, psychiatrique, contextuel ou liés au travail ; on les dénomme drapeaux jaunes, orange, noirs et bleus (voir cadre 2).
Le moment auquel est effectuée l’évaluation du risque doit être judicieusement choisi. En effet, il faut identifier les patients à risque avant qu’ils ne s’enfoncent dans la spirale de la chronicité. Mais il faut également éviter de les étiqueter trop rapidement « à risque », afin de ne pas « surtraiter » ceux qui pourraient quand même évoluer spontanément de manière favorable. C’est pourquoi il est déconseillé de réaliser la stratification du risque moins de 48 heures après l’apparition de la douleur. Pour le GDG belge, c’est plutôt au cours de la seconde rencontre (après environ 2 semaines) que cette évaluation devrait être effectuée.
Parmi les différents outils permettant de prédire le risque d’une évolution vers une incapacité fonctionnelle chronique, on peut citer les questionnaires STarT Back Screening tool et Örebro Musculoskeletal Pain Screening Questionnaire (ÖMPSQ) short version, qui comportent environ 10 questions chacun et sont relativement simples à réaliser dans la pratique (voir à la fin de ce document : Cadre 3 – Outil STarT Back et Cadre 4 – Örebro short version). Ces deux tests ont chacun leurs avantages et inconvénients b et peuvent être utilisés dans différents contextes.
b L’ÖMPSQ (en tout cas dans sa longue version) semble un meilleur outil pronostique que le Start Back tool mais ce dernier permet d’adapter le traitement non seulement en fonction du niveau de risque mais aussi du type de facteurs de risque identifiés (plutôt physique dans le niveau moyen et plutôt psychologique dans la catégorie élevée).
Encadré 2 – Liste de drapeaux jaunes, bleus, noirs et orange
Drapeaux jaunes
Croyances et perceptions
- Croyances délétères concernant la douleur : lésion présentée comme incontrôlable ou susceptible de s’aggraver ;
- Prévision de mauvais résultats thérapeutiques, retour au travail retardé
Réactions émotionnelles
- Détresse ne répondant pas aux critères diagnostiques d’une maladie mentale ;
- Inquiétude, peurs, anxiété.
Comportement face à la douleur (en ce compris stratégies d’adaptation)
- Évitement de certaines activités par crainte de la douleur ou d’une nouvelle lésion ;
- Dépendance excessive aux traitements passifs (hot packs, cold packs, analgésiques).
Drapeaux orange
Symptômes psychiatriques
- Dépression clinique ;
- Trouble de la personnalité.
Drapeaux noirs
Obstacles contextuels ou liés au système
- Législation limitant les possibilités en termes de reprise du travail ;
- Conflit avec la compagnie de l’assurance autour de la demande d’indemnisation pour dommage ;
- Sollicitude excessive de la famille et des prestataires de soins ;
- Activité professionnelle lourde avec possibilités limitées de modifier les tâches.
Drapeaux bleus
Perception du rapport entre travail et santé
- Conviction que le travail est trop pénible et risque de provoquer des lésions supplémentaires
- Conviction de ne pas être soutenu par le supérieur et les collègues.
Source : Michael K. Nicholas et al., in « Psychological Risk Factors (''Yellow Flags'') in patients with low back pains: A Reappraisal ». PHYS THER. 2011; 91:737-753.
Ces outils ont été validés soit dans des populations composées exclusivement de patients lombalgiques, soit dans des populations mixtes comportant des personnes victimes de douleurs lombaires et/ou radiculaires ; aucun des deux n’a toutefois été validé spécifiquement pour les douleurs radiculaires. Il en existe une traduction française et néerlandaise (mais seule celle du STarT Back est actuellement validée).
NICE distingue deux catégories de risque, associées à des prises en charge différentes. Toutefois, les scores utilisés dans chacun des outils ne sont pas strictement superposables à ces deux catégories. Ainsi par exemple, la catégorie « risque élevé » de NICE recouvre les profils de « risque modéré » et « risque élevé » identifiés par l’outil STarT Back. La catégorisation d’un patient dans l’une ou l’autre catégorie dépend aussi de l’analyse du clinicien.
Mais indépendamment du nombre de catégories de risque déterminées par les outils de stratification, le principal message à retenir est que les patients à faible risque n’ont besoin que d’une approche simple, tandis que les sujets présentant un risque plus élevé nécessitent une approche plus complexe et multimodale. Il est également important de garder à l’esprit que les outils de stratification du risque offrent un soutien à la prise de décision clinique, mais qu’ils ne peuvent jamais s’y substituer. En outre, les patients devraient être réévalués à plusieurs reprises au cours de leur prise en charge.
Recommandations |
Niveau de la
recommandation |
Niveau de
preuve |
Envisagez d’effectuer une stratification du risque (par exemple via l’outil d’évaluation des risques STarT Back ou la version courte du questionnaire Örebro) chez chaque patient présentant un nouvel épisode de lombalgie avec ou sans douleur radiculaire. Cette stratification du risque ne devrait pas être effectuée pendant les premières 48h qui suivent le début de la douleur*. Le but de la stratification du risque est d’établir, conjointement avec le patient, une prise en charge adaptée au risque. |
Faible |
Faible à très
faible |
En vous basant sur la stratification du risque, envisagez :
- Un soutien simple et de basse intensité pour les patients lombalgiques avec ou sans douleur radiculaire qui
vont probablement présenter une amélioration rapide et une évolution favorable. Par soutien simple et de
basse intensité, on entend, par exemple, rassurer le patient, lui conseiller de rester actif et le guider dans
l’auto-gestion de sa lombalgie.
- Un soutien plus complexe et intensif pour les patients lombalgiques avec ou sans douleur radiculaire qui
présentent un risque élevé d’évolution défavorable. Par soutien plus complexe et intensif, on entend par
exemple un programme d’exercices supervisés avec ou sans addition de techniques manuelles et/ou d’une
approche psychologique de type cognitivo-comportementale.
|
Faible |
Faible à très
faible |
*Il est conseillé d’effectuer une stratification des risques lors du deuxième contact, après environ deux semaines de douleur
2.3. Imagerie
Dans le cas de douleurs lombaires ou radiculaires, le diagnostic est toujours incertain et il n’est pas rare que le médecin ait recours à l’imagerie (RX, IRM ou CT-scan) pour rassurer son patient – et se rassurer lui-même. Pourtant, en l’absence de drapeaux rouges c, les preuves de l’intérêt clinique et du rapport coût-efficacité de ces examens sont peu nombreuses et contradictoires. Les études concluent généralement que l’imagerie ne permet ni de confirmer, ni d’infirmer les hypothèses diagnostiques. Sans compter que ces examens débouchent très souvent sur des constats tels que dégénérescence articulaire ou hernie discale, auxquelles on sera tenté d’attribuer la cause des douleurs lombaires, alors qu’elles se retrouvent aussi très fréquemment chez des individus asymptomatiques. Dans ce cas de figure, l’imagerie peut donc même avoir des effets iatrogènes et achever de persuader le patient que ses symptômes sont dus à des atteintes graves de sa colonne lombaire.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer le risque lié à l’exposition cumulée aux radiations médicales, ni le coût de ces examens pour la collectivité. Par conséquent, l’imagerie ne devrait être utilisée que lorsqu’elle est nécessaire à la gestion future du problème (p.ex. lorsque l’on envisage une infiltration épidurale ou une chirurgie rachidienne) et non pour remédier à une incertitude diagnostique.
En Belgique, puisque les patients peuvent accéder directement à la médecine spécialisée, il n’est pas opportun d’opérer une distinction entre 1re et 2e ligne en termes de recours à l’imagerie.
Recommandations |
Niveau de la
recommandation |
Niveau de
preuve |
En l’absence de drapeaux rouges, ne proposez pas systématiquement un examen d’imagerie aux personnes
présentant une lombalgie avec ou sans douleur radiculaire. Ne prescrivez un examen d’imagerie que lorsque le
résultat attendu de l’examen est susceptible d’influencer la prise en charge, par exemple lorsqu’une intervention invasive est envisagée. |
Faible |
Faible à très
faible |
Expliquez aux personnes présentant une lombalgie avec ou sans douleur radiculaire qu’un examen d’imagerie
n’est pas nécessairement requis, même si vous les orientez vers un spécialiste pour avis. |
Opinion d’experts |
Sans objet |
c Le recours à l’imagerie en présence de signes ou symptômes suggérant une
pathologie grave sous-jacente à la douleur lombaire ou radiculaire (drapeaux
rouges) sort du cadre de ce guide de pratique clinique et n’est donc pas
abordé dans ce chapitre.