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Extrait de ePilly Trop 2022
L'épidémiologie est indispensable à l'action intégrée en santé tropicale.
Il y a exactement un siècle un jeune professeur de géographie, Maximilien Sorre conceptualise le principe de complexe pathogène. Le complexe pathogène tropical a préfiguré le concept de syndémie de Merrill Singer (années1990) et celui de One Health (années 2000).
M. Sorre acquière le goût de l'écologie végétale, fréquente botanistes et zoologistes et adhère à l'idée d'une géographie humaine selon laquelle l'homme est déterminé par son environnement. Intégrant géographie botanique et géographie humaine il élabore le concept de géographie biologique dans laquelle une seule discipline interne à la géographie permet de saisir toutes les espèces vivantes. Entre 1917 et 1922 il est chargé de cours à la faculté de Bordeaux mais aussi à l'Institut colonial, lieu de croisement des savoirs où il va côtoyer des médecins-savants comme Aristide le Dantec, découvre la pathologie exotique et particulièrement la parasitologie. Dès lors il développe l'idée d'une écologie humaine, c'est-à-dire l'étude des relations de tous les vivants (humains et aussi animaux, végétaux, micro-organismes, etc.) entre eux ainsi qu'avec leur environnement pris dans son ensemble. Il commence par énoncer le concept de complexe pathogène publié pour la première fois en 1933 mais déjà présent dans des textes de 1926.
Le complexe pathogène repose sur la rencontre d'un Germe, d'un Vecteur, d'un Milieu naturel (végétal, animal, hydrique, tellurique) avec ses variations saisonnières ou météorologiques et de l'Homme (hôte ou récepteur) lui-même mobile dans le milieu. Et cette rencontre définit un espace géographique.
Dans le cas de la trypanosomose à Trypanosoma gambiense, l'hôte-réceptif et l'hôte-réservoir se confondent : c'est l'homme. La morbidité ne peut s'exprimer que s'il existe des gîtes adaptés aux glossines (ombre, chaleur et humidité de la galerie forestière), des aires d'attaque (clairières, champs, routes, pistes, voies fluviales), une densité et une régularité de fréquentation de ces aires par les hommes. Ces conditions sont réparties de manière très hétérogène. Il en résulte une irrégularité de répartition des foyers de trypanosomoses au sein de l'aire de distribution des glossines. Les modifications anthropiques, telles que la déforestation, le développement de l'agriculture et les migrations de populations, favorisent l'éclosion de nouveaux foyers si les migrants proviennent d'un foyer connu et actif et importent l'agent pathogène. Il existe donc une séméiologie communautaire qui doit être reconnue. Il faut tenir compte de l'environnement physique et humain, au même titre que de la séméiologie clinique. La connaissance de la clinique va permettre de concevoir des soins complets et la séméiologie communautaire de faire en sorte qu'ils soient adaptés et surtout continus. La découverte d'un cas de trypanosomose peut éventuellement conduire à la découverte d'un nouveau foyer endémique ou épidémique. La géographie du risque est ici déterminée par la distribution des glossines. A l'inverse, dans le cas de la trypanosomose est-africaine à Trypanosoma rhodesiense, le réservoir est constitué d'animaux sauvages dont la répartition géographique varie selon les migrations et donc sans réelle notion de foyers humains. De plus dans ce cas, la maladie chez l'homme frappe plutôt les personnes pénétrant activement dans l'écosystème naturel des glossines et a alors une évolution défavorable bien plus rapide que pour l'espèce ouest-africaine. Le complexe pathogène tropical est donc radicalement différent pour les deux trypanosomoses humaines africaines.
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Depuis un siècle le concept de complexe pathogène a évolué au gré des avancées scientifiques et des réalités sociétales. Il faut ajouter parmi les critères constitutifs d'un complexe, les nouveaux déterminants que sont au niveau de l'agent pathogène : sa virulence, sa contagiosité, sa sensibilité aux antiinfectieux qui sont mieux comprises au rythme des avancées de la génétique moléculaire qui permet de lire ses mutations et en explique les conséquences. Au niveau du vecteur, il faut prendre dorénavant en compte ses variations génétiques qui modifient sa capacité vectorielle et sa sensibilité aux agents phytosanitaires. Au niveau du sujet cible les nouveaux déterminants entrant dans le complexe sont sa réceptivité influencée par son patrimoine génétique, son statut immunologique (donc aussi vaccinal), sanitaire (comorbidités, état nutritionnel) social (accès aux soins, qualité des soins) et culturel (connaissances en santé, croyances, confiance, etc.). Au niveau environnemental, l'humanité devenue majoritairement urbaine a modifié massivement son environnement jusqu'à accélérer dramatiquement le réchauffement climatique avec son lot de bouleversements saisonniers et météorologiques. Cette anthropisation du milieu engendre l'adaptation de certains vecteurs, en même temps que la création d'immenses concentrations humaines favorise la constitution de plus amples réservoirs et la diffusion des agents.
L'urbanisation modifie les comportements sociaux et culturels des nouveaux citadins (alimentaires, sexuels, addictifs, identité collective, etc.). Enfin de nombreux nouveaux outils permettent de mieux décrire et surveiller l'environnement (systèmes d'information géographique, surveillance des eaux et de l'air, explosion des data sciences, etc.).
De nouveaux complexes pathogènes, dont certains tropicaux, sont ainsi décrits soit du fait de leur émergence, soit du fait d'une meilleure connaissance de leurs constituants, d'autres changent, par exemple :
À partir de 1994, Merrill Singer s'interroge sur le triple phénomène morbide des violences subies (dans l'enfance, en couple ou en bande), de la toxicomanie et de l'épidémie de VIH-Sida décrits jusqu'alors comme des épidémies parallèles dans les grandes villes américaines. En étudiant les interactions entre ces trois fléaux, il en démontre la très forte intrication sous-tendue par un contexte social très défavorisé. Pour nommer ce concept, il forge le néologisme de syndemic, traduit en français par syndémie, pour désigner le complexe (dans le texte) que forment des crises sanitaires et sociales auxquelles sont confrontés les citadins les plus pauvres. Ainsi plutôt que de chercher et étudier des conditions distinctes à ces trois phénomènes, il faut s'attacher à leurs relations, et les considérer comme une seule et même syndémie (ici complexe étroitement lié de problèmes sanitaires et sociaux) qui continue de peser lourdement sur la vie et le bien-être des plus pauvres en milieu urbain. Il justifie dès lors une prise en charge globale et intégrée.
Plus largement, une syndémie survient lorsque des facteurs de risque ou des comorbidités s'entremêlent et se potentialisent, exacerbant ainsi leurs dommages particuliers. Le concept de syndémie ne s'est qu'assez peu répandu dans l'aire francophone jusqu'à l'émergence de la Covid-19 en 2020. Dès lors que les comorbidités non-transmissibles (obésité, hypertension artérielle, diabète, trisomie 21, etc.) ont été reconnues comme facteurs de risques aggravant la Covid-19, la résolution de cette syndémie passera par la prise en charge concomitante et au niveau sociétal, des maladies non-transmissibles qui génère la gravité de la Covid-19. Il est possible que dans quelques temps les conditions de développement et de persistance des maladies infectieuses tropicales seront qualifiées de syndémiques enterrant définitivement le complexe pathogène tropical. En effet, il est de plus en plus évident que la dimension anthropologique des changements et ruptures épidémiologiques observés au sein d'un complexe pathogène, est dorénavant prépondérante comme l'illustre l'impact probable de la déforestation à caractère industriel dans l'émergence de l'infection humaine à virus Nipah en Malaisie en 1998.
Après un long travail militant débuté dès 1999, les sociétés savantes vétérinaires anglo-saxonnes se sont employées à promouvoir une approche holistique « des santés » (et donc des maladies) des faunes sauvage comme domestique, publique ou humaine, et ceci dans tous les contextes environnementaux. Le terme One Health est adopté en 2007 pour nommer cette approche. En 2008, ce sont les trois agences onusiennes concernées (OMS, FAO et OIE) qui définissent une approche globale en réponse aux risques représentés par les maladies infectieuses émergentes (MIE) au décours de la crise engendrée par l'épizootie aviaire à virus H5N1. Elles diffusent alors un concept collaboratif clarifiant les objectifs à atteindre et les responsabilités réciproques. Il ne s'agit plus seulement de prévenir une émergence ou une épidémie ou de lutter contre elles, mais bien d'anticiper face à l'imprévisible, et lorsqu'il survient, d'agir encore dans l'incertain face aux endémies (y compris tropicales), épidémies et pandémies. Ce concept tripartite a adopté et internationalisé la stratégie One Health, fixant initialement 3 priorités (rage, virus influenzae, résistance aux antibiotiques) et encourageant tous les gouvernements à promouvoir une démarche coopérative et soutenable entre leurs agences publiques et les structures privées déjà impliquées dans la problématique des MIE. La stratégie One Health s'applique en particulier aux zoonoses mais a plus largement vocation à promouvoir une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires à l'interface Homme-Animal-Environnement. L'expérience de l'émergence du SARS-CoV2 en 2019 montre qu'en matière d'anticipation de l'imprévisible, du chemin reste à parcourir.
Prendre conscience de la réalité d'un complexe pathogène, ou d'une syndémie, ou du bénéfice de l'approche One Health, engendre l'obligation d'une prise en charge intégrée de la santé indispensable à sa maîtrise. Les démarches diagnostique, curative et pronostique, ne sont plus cantonnées à la médecine individuelle, elles sont constitutives d'une véritable médecine de la collectivité et encore plus d'une prise en charge globale de la communauté dépassant de très loin les frontières de la seule médecine de soins.
Le lecteur-soignant, doit lors de sa démarche diagnostique individuelle, replacer le patient au centre d'un complexe pathogène par la connaissance physiologique de l'individu (qui), de ses activités et son comportement (a fait quoi), de ses lieux de vie, de séjour et de voyage (où), des temps d'exposition au risque (quand), de ses contacts humains (avec qui). Cette étape, véritable enquête conduite sur un individu est indispensable et souvent éclairante, permettant de hiérarchiser les hypothèses et de choisir les examens complémentaires adaptés. La connaissance de l'environnement ainsi défini conditionne aussi toute demande préventive.
Le lecteur-responsable de santé publique ou politique, doit de même lors de sa démarche de diagnostic de la santé de la collectivité, mesurer le risque inhérent à un complexe pathogène présent dans la communauté, grâce à l'appropriation des déterminants de la santé (indicateurs) ; aux progrès de l'épidémiologie ; à la puissance (et aux effets secondaires) des services de soins ; à la prise en compte de la vulnérabilité (technique, économique, culturelle, anthropologique) des facteurs de risque.
Enfin, connaître les complexes pathogènes conduit à les surveiller pour anticiper les risques sanitaires consécutifs à la rapidité des transformations anthropiques (aménagements hydro-agricoles et marins, déforestation, urbanisation) ; à l'ampleur des mouvements migratoires (certaines maladies migrant avec leur hôte) ; à l'apparition de nouvelles niches écologiques (émergence) ; aux changements climatiques (montée en latitude des maladies tropicales) et aux modifications des comportements (marginalisation, violence urbaine, addictions, perte de repères…). L'épidémiologie en pays tropical doit par conséquent continuer à être développée avec la diffusion d'outils de surveillance épidémiologique, comme par exemple avec une plus grande diffusion du District Health Information Software (DHIS) complètement déployé ou en phase pilote, en 2021 dans la quasi-totalité des pays africains et du sous-continent indien. La création d'une surveillance épidémiologique est une compétence locale d'un pays (ou état, région fédérée, etc.) pour laquelle des méthodes de collecte et de transmission systématiques, permanentes, rapides et généralisées des données de morbidité (éventuellement plus) sont organisées. Des outils opérationnels et accessibles doivent permettre de collecter des données régulièrement et fréquemment validées et analysées (aux échelons intermédiaires et nationaux) pour produire une information synthétique utile à l'alerte sanitaire, à l'action en retour, à la supervision et l'évaluation des programmes de santé, à la motivation des chargés de collecte. Le principe même de la surveillance sous-entend une subordination de ses différents échelons à une unité politique. En ce sens, il n'existe pas de système supranational de surveillance épidémiologique, et si certains organismes internationaux colligent, analysent et fournissent des données de surveillance épidémiologique, ils n'en sont ni les auteurs ni les donneurs d'ordre.
En la matière, seule la coopération permet de dépasser le cadre national. Dès lors, la meilleure des surveillances épidémiologiques ne suffira jamais pour anticiper l'évolution ou l'émergence de tous les risques sanitaires, à commencer par ceux qui apparaissent ou se développent au-delà d'une frontière, au-delà une aire de compétence, ou bien sûr en dehors du champ des connaissances (on ne peut pas surveiller ce qu'on ne connaît pas). C'est ici que prend place la veille sanitaire qui doit être développée dans les pays du monde tropical au même titre que la surveillance épidémiologique et de façon complémentaire. La veille sanitaire, s'affranchit des frontières comme des standards d'une bonne épidémiologie, elle ne prétend ni à l'exhaustivité ni à la représentativité ni à l'exactitude mais elle prétend informer. La veille sanitaire repose sur la collecte, l'analyse et la diffusion à ceux qui en ont besoin, d'informations sanitaires polymorphes provenant ou non de populations extérieures à celle de l'organisme de veille, dans le but d'identifier des signaux sanitaires faibles, émergents, expliqués ou non, potentiellement porteurs de risque pour la population au bénéfice de laquelle œuvre le veilleur. L'explosion des data sciences après celle des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la mise en commun au niveau supranational (cf. supra) de nombreuses données de surveillance épidémiologique, la mise en ligne de très nombreux journaux et supports de presse grand public mais aussi de la presse spécialisée scientifique, etc. fournissent la matière de base à la veille sanitaire. Mais cette volumineuse matière en croissance exponentielle, doit être explorée (data mining) et traitée pour en tirer l'information sanitaire pertinente pour l'alerte et l'aide à la décision. Dans cette phase d'analyse des données extraites, la mise en perspective avec chaque complexe pathogène local est essentielle à l'évaluation de leur pertinence sanitaire et politique.
Nous finissons ici par la conclusion avant-gardiste de M. Sorre en 1933 : « l'aire d'extension d'une maladie endémique ou épidémique, c'est l'aire d'extension d'un complexe pathogène. Expliquer cette aire d'extension, ces mouvements de contractions ou de dilatation, c'est, d'abord, résoudre un problème d'écologie, démarche fondamentale en géographie biologique. »
Lire le texte original et accéder aux références : ePilly Trop 2022
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