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GUINEE MADAGASCAR MALI R.D. CONGO SENEGAL TOGO
Sud Quotidien | Sénégal | 28/05/2013 | Lire l'article original
Des statistiques partielles et zones d'ombre multiples
"Le Sénégal fait partie des pays qui n’ont pas de surveillance épidémiologique des maladies cardiovasculaires ou chroniques selon l’OMS en 2013. Il n’y a pas de données centralisées et pertinentes sur les maladies cardiovasculaires. Les chiffres publiés en 2005 par le ministère de la Santé et de l’Action sociale avaient classé les maladies cardiovasculaires comme la deuxième cause de décès au Sénégal et la première cause de décès chez l’adulte. Le paludisme étant la première cause de décès. Dans nos études, nous avons constaté aujourd’hui que l’hypertension artérielle, c’est 40 % de la population qui sont affectés contre 25 % il y a 25 ans. Ensuite une autre maladie comme l’excès du cholestérol, les chiffres sont à 40 voire 50 %. Avec le diabète, nous sommes entre 5 à 10 % selon qu’on est à Géoul où qu’on va à Saint Louis. Nous avons aussi constaté, ce qui est plus inquiétant dans nos études sur le terrain, c’est que les facteurs de risques sont associés à la survenue des maladies cardiovasculaires. Si nous prenons ce qui fait la crise cardiaque, nous trouvons une fréquence assez importante dans la ville de Saint Louis. Donc nous n’avons que des données isolées sur certaines villes ou en milieu rural. Mais les fourchettes recueillies montrent que nous en sommes à une ampleur qui se rapproche ou dépasse même ce qu’on décrit dans certains pays industrialisés. Tous les facteurs de risques ont vraiment progressé sur ces maladies depuis ma thèse et aujourd’hui ils sont de 1,5 à 2 fois plus fréquents.
Les maladies cardiovasculaires constituent une véritable problématique de santé publique et d’ici quelques années elles risquent d’être la première cause de mortalité".
Cause de l'explosion des maladies cardiovasculaires
"Ce qui a favorisé le développement de certaines maladies chroniques comme le diabète, les cancers ou cardiovasculaires, c’est un changement dans le style de vie associé à un environnement hostile. Evidemment l’Afrique avait probablement un certain nombre de comportements alimentaires qui étaient plus sains et orientés vers la consommation de céréales et de poisson. Aujourd’hui, nous avons une consommation plus calorique, plus grasse, plus salée, plus sucrée et aussi nous pratiquons moins d’activités physiques. Tout ceci mis en ensemble constitue la cause réelle des maladies cardiovasculaires.
Toutefois, il ne faut pas nous comparer aux pays du Nord parce que ces gens ont changé leur comportement alimentaire ou essayent de le changer depuis 20 ans. Ils essayent de manger moins gras, moins salés. Nous devrons donc aller dans ce sens, c’est d’ailleurs ce combat là que les médecins cardiologues et également toute la communauté scientifique doivent porter pour qu’on arrive à réduire ces maladies cardiovasculaires".
Alimentation inappropriée, tabagisme…
"L’alimentation et l’exercice physique permettent de prévenir les maladies cardiovasculaires. Il y a donc des législations, une volonté de conscience politique pour permettre l’amélioration de l’alimentation saine, la promotion de l’exercice physique et la lutte de façon très vigoureuse contre le tabac. Si vous prenez l’alimentation et le tabagisme, vous vous rendrez compte que dans le monde, là où la législation est la plus faible, c’est l’Afrique. Il y a quatre à cinq fois moins de textes législatifs dignes de ce nom en Afrique que dans toutes les autres régions du monde. Cela veut dire que la prévention en réalité ne se fait pas comme on le proclame souvent.
Ensuite il faut également intégrer la prise en charge. Je ne connais pas de pays au monde qui a su améliorer la santé de ses populations en prenant maladie par maladie pour les combattre. A mon avis, c’est une mission impossible. D’ailleurs c’est à cause de cela qu’aujourd’hui les maladies dites transmissibles c'est-à-dire le paludisme, le sida, la tuberculose, sont les plus mortelles en Afrique et dans le même temps le cancer, les maladies cardiovasculaires deviennent maintenant plus mortelles que les maladies transmissibles. Cela veut dire que l’Afrique combine les deux fronts contrairement aux pays du nord où certaines maladies infectieuses sont pratiquement éradiquées. Les statistiques prouvent que 80 % des décès dus aux maladies cardiovasculaires se passent dans les pays en voie de développement. Pire encore si vous prenez un sujet sénégalais, tanzanien, tchadien de 50 ans qui fait une crise cardiaque, il a plus de risque d’en mourir qu’un sujet habitant Londres, Paris, Amsterdam ou New York. Cela veut dire que nous devrons réellement avoir des approches différentes".
Tendance des lutteurs qui surchargent leurs poids
"Lors de ce congrès il y a eu beaucoup de sessions consacrées à la médecine du sport et particulièrement pour la cardiologie. Nous avons organisé un atelier sur la cardiologie du sport, une séance plénière sur la cardiologie du sport, et nous sommes en train d’édicter des recommandations africaines sur la cardiologie du sport. Ce qui est une première en Afrique. Tous les cardiologues du sport en Afrique se sont réunis pour dire que nous avons un document que nous allons publier à l’intention de tous les acteurs, en l’occurrence les Etats, les dirigeants, pratiquants, personnel médical et paramédical. Nous avons fait des propositions très précises à ce niveau là.
Nous avons pensé que la pratique du sport doit se faire dans un environnement sain. Un environnement sain signifie l’interdiction de toute substance illicite et tout dopage. Comme il est connu de tous, le dopage malheureusement existe dans le milieu sportif et la lutte n’échappe pas à la règle. Le dopage alourdit le sang, augmente la tension artérielle, rend le cœur plus lourd et favorise la fameuse arthritique cardiaque. Le dopage est donc l’une des causes majeures de mort subite. Et un jeune sportif qui se dope va devenir hypertendu, va faire également une crise cardiaque et à de fortes chances de perdre sa vie dans l’arène.
Il faut absolument surveiller nos sportifs, qu’ils aient un bilan de non contre indications à la pratique du sport, qu’ils ne soient pas complaisants. Mais nous pensons aussi qu’il nous faut avoir un contrôle sur le dopage. Je crois que n’importe quel médecin ou cardiologue du sport qui regarde un peu ce qui se passe dans la lutte verra facilement que les modifications de poids et la façon de le faire sont devenues monnaie courante.
Au Sénégal, cela fait trois ou quatre ans que nous organisons des ateliers pour parler des causes de mort subite. Cela a fait trois à quatre ans depuis que nous avons rédigé les recommandations et envoyé les conclusions. Lors du dernier congrès, nous sommes passés à la vitesse supérieure et avons demandé à la société panafricaine de cardiologie de porter ce projet et de faire un plaidoyer au niveau de toutes les instances panafricaines pour que les gens sachent que la pratique du sport est une activité saine. Mais que réalisée dans certaines conditions notamment celles qui favorisent le dopage, elle peut être une catastrophe pour notre jeunesse".
Cherté et inaccessibilité au traitement
"L’inaccessibilité des soins n’est pas liée uniquement à la disponibilité financière. Mais l’équation est également géographique, car nous n’avons pas beaucoup de spécialistes. Nous devrons donc en former. Nous avons travaillé à ce que les spécialistes soient motivés pour aller dans les différentes régions du Sénégal. Cependant la seule motivation financière ne suffit pas car beaucoup de jeunes cardiologues posent la problématique insoluble des outils de travail et l’environnement social qui requiert la sérénité. Mais il ne faudrait pas se limiter à la compétence exclusive des spécialistes puisque les malades devraient être prises en charge par tout un système partant des infirmiers. Donc nous devrons veiller à transférer des compétences pour qu’à chaque niveau, la lutte contre les maladies cardiovasculaires puisse se faire jusqu’aux cas les plus complexes.
Sur l’accessibilité des soins qui est une question très importante, nous avons beaucoup réfléchi. Nous pensons qu’on peut améliorer ce que nous faisons actuellement grâce à un certain nombre de solutions. La première solution c’est d’identifier les médicaments vraiment pertinents et utiles. En réalité on n’a pas besoin de vrais médicaments pour prendre en charge l’essentiel des maladies cardiovasculaires au Sénégal. Ces médicaments peuvent être disponibles puisqu’ils existent en générique où négocier au niveau sous régional la possibilité de les rendre accessibles. Une bonne politique de subvention pourrait ainsi les mettre dans nos différentes structures de soins à un moindre coût.
Ensuite il nous faut avoir des stratégies intégrées. Il y a autant de programmes de lutte, qu’il y a de maladies endémiques : sida, paludisme, maladies cardiovasculaires, cancer; etc. Il nous a paru important de dire aujourd’hui arrêtons nous un peu et intégrons tous ces programmes et ayons plutôt une rationalité dans nos approches. Ce qui permettra finalement de subventionner les médicaments essentiels du palu, du sida comme ceux des maladies cardiovasculaires et du cancer. Je pense que c’est l’une des voies les plus sûres pour arriver à rendre plus accessible la prise en charge des maladies ciblées".
Nouvelle stratégie des soins
"Je pense que le principal problème dans nos pays c’est d’abord l’organisation des soins. Pendant longtemps, les maladies chroniques et dites transmissibles ont été négligées. La lutte a été portée vers une certaine maladie dite transmissible comme le sida, le paludisme, la tuberculose. Des maladies qui ont des programmes et des budgets significatifs pour être vaincus. Mais je pense qu’un système de soins doit intégrer les approches sinon nous n’allons pas en sortir. Il se trouve qu’il y a des centaines de maladies et parmi elles, certaines sont beaucoup plus importantes que ces maladies que j’ai citées. Donc on ne peut pas courir derrière chacune des maladies. La médecine ne fonctionne pas comme ça. Le monde entier l’a mieux compris et non les pays en voie de développement".
Ressources humaines et plateaux techniques
"Si les cardiologues sont répartis dans les différentes régions du Sénégal de façon équitable avec des moyens de travail, les infirmiers et médecins généralistes formés à la prise en charge des maladies cardiovasculaires et leur transfèrement, c’est en ce moment qu’on aura optimisé la prise en charge des maladies cardiovasculaires. Ceci dit que dans tous les pays du monde c’est un défi. Il nous faut simplement choisir la bonne direction ; mobiliser et optimiser nos ressources humaines, financières en écoutant les communautés, les leaders d’opinion, la presse qui joue un rôle important et les relais communautaires".
Résolutions du congrès de Dakar
"L’objectif de ce congrès qui a rassemblé la plupart des experts africains, européens, australiens, asiatiques était de voir dans quelle mesure on pouvait dégager une stratégie de prise en charge. Nous avons répertorié les différents types de maladies cardiovasculaires et proposé des stratégies. Nous avons aussi réfléchi sur l’organisation de la prise en charge et il nous semble important d’arriver à travailler sur la prévention et à trouver les moyens de mettre sur toute l’échelle des soins de santé, de la case de santé à l’hôpital de niveau 3. Il faut une redéfinition des rôles pour l’infirmier, le médecin généraliste et le spécialiste en l’occurrence le cardiologue. Eventuellement établir la place de la communauté et des relais communautaires dans la prise en charge des maladies cardiovasculaires".
Agir sur trois niveaux
"Le premier niveau s’est sur la prévention c'est-à-dire une alimentation saine, arrêter de fumer, ne pas avoir une consommation excessive d’alcool et avoir une activité physique régulière. Le deuxième message important c’est qu’il faut se faire dépister. Parce que l’hypertension comme le diabète ou l’excès de cholestérol sont des maladies sournoises et silencieuses. D’où il faut aller les rechercher. Vous avez 30 ans ou plus, vous avez dans votre famille des personnes l’une ou l’autre de ces maladies là, dites vous « attention, je dois aller tous les ans ou tous les deux ans, tous les trois ans me faire dépister pour rechercher ces maladies et agir. »
Pour un nouveau cadre législatif
"Il faut organiser une meilleure adaptation de nos habitudes alimentaires, mettre en place une meilleure législation sur l’alimentation, contre le tabac, avec une volonté réelle de lutter contre ces facteurs de risques. Tout cela doit être organisé par un Etat. Il faut que l’Etat comprenne que prendre une taxe sur une cigarette ou quelques taxes sur les produits alimentaires nocifs, c’est malheureusement gérer quelques problèmes du présent et ouvrir la voie à la détérioration de la santé des populations pour demain. Voilà en réalité ce qui se passe dans nos pays africains. Ce qui a d’ailleurs obéré sérieusement jusqu’ici la santé des populations qui vous ont fait confiance".
AVC et crise cardiaque : entre dépistage et prise en charge urgente
"Même si on a fait la prise en charge ou on s’est fait dépister, ces maladies peuvent attaquer par surprise. Un AVC, une crise cardiaque peuvent survenir brutalement. Cela peut se jouer sur quelques heures, quelques minutes ou quelques jours. Autrement dit il faut qu’on s’écoute et qu’on écoute notre corps.
Dire que vous avez une douleur dans la poitrine, un essoufflement inhabituel, des palpitations que vous ne comprenez pas, allez voir le médecin. Vous avez du mal à prononcer ou articuler des mots, votre bras a faibli, a fait tomber le rasoir, vous n’arrivez plus à finir la sourate de la Fatiha que tous les musulmans connaissent parce que vous avez un trou de mémoire cela peut être la première manifestation d’un AVC. Et si on ne fait rien vous pouvez continuer vos activités mais dans les mois à venir il y a de fortes chances qu’il y ait un AVC brutale avec les séquelles que tout le monde connait.
Cela veut dire qu’il faut qu’on s’écoute et il faut qu’on aille vers les systèmes de soins. Mais là aussi l’Etat a un rôle à jouer parce qu’il doit permettre à tous les Sénégalais d’avoir ce message là. La presse et les praticiens jouent leurs rôles, mais c’est à l’Etat de récupérer tout cela et de le rendre disponible pour toute la population.
En dotant toutes les structures sanitaires du pays d’un électrocardiogramme qui n’est pas cher (500 000 F à 1 million Cfa) tout en formant un médecin pour les premiers soins. Car un infarctus du myocarde vaut mieux qu’on commence les soins par un médecin généraliste à la première heure que l’on commence les soins à la douzième heure. Le meilleur cardiologue du monde ne fera que pire par rapport à ce qu’aurait pu faire le médecin généraliste qui l’a vu tôt".
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