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Références : S. Fries, P. Pasche, C. Brunel, V. Schweizer - Rev Med Suisse 2015; volume 11. 1796-1802
L’amyloïdose regroupe différentes formes d’atteintes organiques et/ou systémiques ; elle est caractérisée par des dépôts fibrillaires au sein du tissu conjonctif. Au niveau de la sphère ORL, l’atteinte isolée du larynx est la plus observée. Cependant, l’atteinte laryngée isolée est rare. Une recherche de formes multifocales ou systémiques au moyen d’examens complémentaires est donc recommandée. Le traitement préférentiel de la forme laryngée isolée est la chirurgie endoscopique avec préservation fonctionnelle.
Nous présentons ici le cas d’une patiente de 67 ans, connue pour une laryngite subaiguë résistant au traitement médical chez qui le diagnostic d’amyloïdose laryngée est posé. Nous passons en revue la littérature pertinente, la physiopathologie et les modalités de prise en charge.
L’amyloïdose est le terme général utilisé pour caractériser les dépôts fibrillaires dans un tissu extracellulaire. C’est Rokitansky qui décrivit en 1842 les dépôts d’amyloïde.[1] En 1851, Virchow utilisa le terme «amyloïde» en raison de la réaction chimique observée entre les dépôts en question, l’iode et de l’acide sulfurique (réaction de type amidon).[2] Enfin, Borow et Neumann diagnostiquèrent pour la première fois une amyloïdose laryngée en 1873.[3]
Les dépôts d’amyloïde sont composés de sous-unités de bas poids moléculaire issues de protéines hydrosolubles variées, circulant dans le plasma sanguin et ayant subi des changements conformationnels. Ils déclenchent des manifestations cliniques diverses en fonction de leur type, de leur localisation et de leur quantité.
Plusieurs classifications sont disponibles. On distinguait initialement l’amyloïdose primaire (AL) et l’amyloïdose secondaire (AA). L’AL est causée par une dyscrasie des cellules plasmatiques et due à des dépôts protéiniques dérivés des fragments de chaînes légères (L) d’immunoglobulines (Ig). L’AA est une complication potentielle d’une inflammation chronique ou récurrente, provoquant la production d’amyloïde (A) dans le sérum, qui sédimente sous forme fibrillaire ; l’AA correspond à 5% des cas d’amyloïdose.[4]
Actuellement, plus de 25 formes d’amyloïdose ont été identifiées et la classification a évolué.[4,5] Il existe des amyloïdoses localisées (9-15%) et systémiques.[6-8] Pour ces dernières, on distingue trois formes principales : primaire, réactive (secondaire) et familiale.[9] Leur nomenclature commence par un «A» suivi de l’abréviation du nom de la protéine dont elles sont issues. Le tableau 1 résume la nomenclature et la classification des diverses formes d’amyloïdoses.
Tableau 1. Classification de l’amyloïdose [4,31]
Classes des protéines | Types d’amyloïde | Protéine précurseur | Type clinique |
Amyloïdose systémique | |||
Apolipoprotéines de haute densité | AA | (Apo) serum Amyloid A | Associée à des infections ou maladies inflammatoires chroniques, amyloïdose secondaire AA |
AApoAI | Apolipoprotein A-I (ApoAI) | Familiale (neurologique et cardiaque), amyloïdose liée à l’âge | |
AApoAII | Apolipoprotein A-II (ApoAII) | Amyloïdose néphropathique héréditaire | |
Immunoglobuline (Ig) | AL/AH | Ig L/Ig H chaînes | Primaire, associée au myélome multiple, dyscrasie des plasmocytes (peut être localisée !) |
Aβ2m | β-2 microglobuline | Amyloïdose de dialyse | |
Protéine de coagulation | AFib | Fibrinogène | Amyloïdose néphropathique héréditaire |
Enzyme | ALys | Lysozyme | Amyloïdose viscérale familiale |
Protéine de transport | ATTR | Transthyrétine (TTR ; préalbumine) | Amyloïdose cardiaque et/ou neurologique héréditaire ; amyloïdose systémique sénile (forme suédoise) |
Aymloïdose localisée – système nerveux central | |||
Cérébrovasculaire | Ab | Amyloid precursor protein (APP) | Maladie d’Alzheimer héréditaire et sporadique |
APrPsc | Prion protein (PRP) | Encéphalopathies spongiformes héréditaires et sporadiques | |
ABri/ADan | BRI gène | Démences héréditaires (formes anglaise et danoise) | |
ACys | Cystatine C | Amyloïdose associée à des hémorragies cérébrovasculaires héréditaires (formes islandaises) | |
Amyloïdose localisée – oculaire | |||
Associée au cytosquelette | AGel | Gelsoline | Amyloïdose polyneuropathique héréditaire (forme finlandaise) associée à une dystrophie cornéenne et cutis laxa |
AKer | Kératoépithéline | Dystrophies cornéennes héréditaires | |
Autre | ALac | Lactoferrine | Amyloïdose cornéenne associée au trichiasis |
Amyloïdose localisée | |||
Neuroendocrine | ACal | (Pro)calcitonine | Tumeur médullaire de la thyroïde |
AIAPP | Amyloïde insulaire | Insulinome, diabète de type II | |
AANF | Atrial natriuretic peptide | Amyloïdose isolée atriale liée à l’âge | |
APro | Prolactine | Prolactinomes | |
Alns | Insuline | Amyloïdose localisée liée à l’usage d’une pompe à insuline | |
Galectine | AGAI7 | Galectine 7 | Amyloïdose cutanée localisée |
La plupart des cas d’amyloïdose de la région cervico-faciale sont des formes localisées de type AL. Toutefois, on considère que 90% des patients atteints d’une amyloïdose systémique développeront des dépôts d’amyloïde dans les voies aérodigestives supérieures.[4,10] Les dépôts peuvent se localiser dans n’importe quel site. L’amyloïdose des muqueuses de la sphère ORL, à l’exclusion du larynx, est associée dans 78% des cas à une néoplasie systémique.[4,10] Le site ORL le plus fréquent concernant les AL systémiques est la glande sous-maxillaire (31,9%), suivie de la langue (macroglossie, 23%).[11,12] On peut également retrouver des dépôts dans l’orbite, les sinus, la cavité buccale, le pharynx et le larynx.
Lors de l’examen clinique, les dépôts sont observés à tous les étages de la sphère ORL. La surface muqueuse est en général intacte ; les lésions sous-muqueuses sont nodulaires ou plates avec une teinte jaunâtre, rosée ou bleue.4 La figure 1 illustre une image de lésion nodulaire jaunâtre visualisée en microlaryngoscopie en suspension (MLS).
L’amyloïdose représente 0,2-1,2% de toutes les tumeurs bénignes du larynx,.[9,13,14] site le plus fréquemment touché de la région cervico-faciale. Des auteurs suggèrent une localisation sus-glottique préférentielle.[6,15-18] La pathologie se manifeste entre 40 et 70 ans, avec une incidence plus élevée chez les hommes (ratio H : F = 2-3) ; toutefois, cette tendance est débattue.[6,9,17] Les symptômes retrouvés sont la dysphonie, la dyspnée, le stridor (pouvant aller jusqu’à l’obstruction des voies aériennes), la toux, l’odynodysphagie et l’hémoptysie.[13]
L’étiologie est inconnue ; dans 85% des cas, elle représente une forme localisée d’amyloïdose AL, caractérisée par des dépôts de chaînes légères d’Ig λ (60%) et κ (25%).[15,17] Trois hypothèses plausibles ont été émises : 1) les dépôts sont issus d’un dérèglement immunitaire générant une Ig précurseur produisant de l’amyloïde par polymérisation ;[19] 2) les dépôts sont issus de clones de plasmocytes produisant des chaînes légères d’Ig, dégradées en amyloïde par les enzymes du tissu conjonctif, l’élimination dans les tissus lymphoïdes des muqueuses n’étant pas possible ;[7,9,20] et 3) les dépôts sont issus de la dégradation/destruction de plasmocytomes extramédullaires bénins, ou sont la résultante de désordres lymphoprolifératifs associés aux MALT (mucosa associated lymphoïde tissue), donc associés à une moins bonne évolution clinique.[8,9,21]
Malgré les caractéristiques morphologiques semblables à l’AL systémique, l’amyloïdose laryngée est rarement associée à la forme systémique. Quelques rares cas ont été décrits ; tous appartenant aux amyloïdoses héréditaires [22] ou aux amyloïdoses systémiques de type AL menant au développement de myélomes multiples.[4,13,23] C’est pour cette raison que de nombreux auteurs conseillent, lors du diagnostic d’une forme localisée, la recherche d’une forme systémique sous-jacente.
L’amyloïdose peut en effet toucher n’importe quelle portion de larynx et plus fréquemment de manière multifocale. [9,15,17] Elle peut également toucher la trachée et les bronches, d’où la nécessité d’effectuer un bilan endoscopique complet. La biopsie tissulaire est l’examen diagnostique «gold standard» de l’amyloïdose ; elle permet l’analyse pathologique à la coloration hématoxyline et éosine caractéristique (dépôts fibrillaires apparaissant en rose dans l’espace extracellulaire) ainsi que la biréfringeance vert pomme à la coloration au rouge de Congo (figures 2 et 3).[9].
Bilan complémentaire
Fgure 1 : Vue en microlaryngoscopie en suspension
Dépôts jaunâtres : amyloïdose
Figure 2 : Coloration HE (hématoxyline et éosine) standard X40
Jonction entre muqueuse respiratoire et malpighienne. Dépôts fibrillaires
en rose.
Figure 3 : Coloration au rouge de Congo X 40
Dépôts fibrillaires en rouge clair
Figure 4 : Microscopie électronique
Lors du diagnostic endoscopique associé à une biopsie, il est fortement recommandé d’effectuer une panendoscopie à la recherche d’une forme multifocale. En effet, comme précédemment décrit, elle peut se retrouver à plusieurs étages laryngés mais également dans l’arbre trachéo-bronchique.[9,15,17]
Certains auteurs proposent de compléter le bilan par une imagerie pour l’extension locale. Le CT-scan est proposé ;[13] néanmoins, il reste peu spécifique, car on ne retrouve qu’un épaississement tissulaire. Par IRM par contre, l’amyloïde a le même signal que le muscle squelettique, ce qui permet un diagnostic différentiel entre l’amyloïdose et une tumeur maligne.[19]
Une des formes systémiques les plus courantes est le type AL, provoquant des néphropathies et cardiopathies. Un bilan sanguin par formule sanguine complète, tests hépatiques, rénaux et électrophorèse des protéines (Ig λ et κ) est proposé. Il est complété ensuite par un bilan urinaire par évaluation de la fonction rénale, de la protéinurie et de l’électrophorèse des protéines avec plus spécifiquement la recherche de protéines Bence-Jones. S’additionne enfin au bilan une évaluation cardiaque par ECG et échographie. L’aspiration sous-cutanée de graisse abdominale est le test ayant la meilleure spécificité, 70-80%, mais qui malheureusement présente une très mauvaise sensibilité liée à la technique de prélèvement.[4,23-25] Les biopsies rectale ou de moelle sont également proposées mais sont jugées plus invasives.
Il est important de garder à l’esprit qu’il s’agit d’une pathologie bénigne ; le traitement de choix sera dépendant de sa morbidité et de son effet sur la qualité vocale et sur la perméabilité des voies aériennes.[18]
Le traitement communément admis est l’exérèse chirurgicale des dépôts d’amyloïde. Il peut s’agir d’une simple exérèse par chirurgie endoscopique jusqu’à une laryngectomie supraglottique,[25] voire une laryngectomie totale [26] selon la sévérité de l’atteinte (en cas d’obstruction des voies aériennes). Néanmoins, il s’agit d’une pathologie bénigne et à croissance lente, grevée d’un haut taux de récurrence (20-64% à cinq ans),[9,10] observée jusqu’à quatorze ans après traitement.[15] Cette dernière est probablement liée à la difficulté d’une exérèse complète respectant les tissus sains. La chirurgie endoscopique avec préservation fonctionnelle, même en tranches de section positives, et le suivi clinique à long terme restent donc le traitement de choix. L’exérèse de lésions amyloïdes laryngées doit être décidée en fonction de la symptomatologie du patient, selon la dysphonie et/ou dyspnée.[15] Il n’y pas d’indication à l’exérèse si le patient est asymptomatique. Entre le moment du diagnostic et le traitement chirurgical il peut se passer en moyenne entre une et neuf années.[13]
Certains auteurs préconisent pour les atteintes glottiques une exérèse au bistouri froid, qui permet une meilleure conservation des structures. Pour les atteintes sus-glottiques, ils préconisent un complément par laser CO2 en raison des atteintes souvent plus extensives et donc à plus haut risque hémorragique.[13] D’autres préconisent l’utilisation du laser KTP.[6] En résumé, les techniques varient selon les auteurs, mais ce qui ressort est l’utilisation d’une chirurgie «minimal-invasive» à but fonctionnel dépendant de la symptomatologie.
Figure 5 : Proposition de prise en charge
H et E : hématoxyline et éosine.
Certains auteurs suggèrent que l’amyloïdose laryngée localisée serait une forme bénigne de plasmocytome extramédullaire des tissus mous ou MALT.[21] Ces derniers se traitent par radiothérapie ; par extrapolation, des tentatives de traitement adjuvant ou comme thérapie primaire ont été effectuées.[27] Le taux de récurrence serait directement corrélé à la dose de rayonnement. Il serait nettement augmenté pour des doses de radiations inférieures à 40 Gy.[28] Malheureusement, en augmentant le taux de rayonnement, les risques de toxicité qui en découlent ne sont plus négligeables pour une pathologie bénigne. D’autre part, il existe peu d’articles traitant du sujet et ceux existant se focalisent surtout sur l’amyloïdose trachéobronchique,[18] site anatomique difficile d’accès pour une chirurgie à visée fonctionnelle. Pour ces raisons, l’indication à la radiothérapie pour l’amyloïdose laryngée n’est pas retenue dans la littérature.
Le traitement de la forme systémique cible l’arrêt de la production des protéines précurseur d’amyloïde. Le traitement considéré actuellement comme le plus efficace est l’administration de hautes doses de melphalan, suivie par une greffe de moelle osseuse autologue. En raison de la haute toxicité de ce traitement, tous les patients ne peuvent le recevoir. Comme alternative, on utilise des traitements par de hautes doses de dexaméthasone associées ou non au melphalan.[29] Ces traitements agressifs ne sont pas reconnus pour les formes localisées et les corticostéroïdes seuls n’ont pas non plus démontré leur efficacité.
Un traitement médicamenteux est décrit de manière encore expérimentale : le CPHPC (R-1[6-[R-2-carboxy-pyrrolidin- 1-yl]-6-oxo-hexanoyl] pyrrolidine-2-carboxylic acid). Il diminue les taux sériques du SAP (serum amyloïd P) qui normalement se lie aux fibrilles d’amyloïde et empêche leur dégradation.[30] Le CPHPC interfère avec cette liaison en provoquant une clairance rapide du SAP par le foie. Ce médicament n’a pas encore été testé pour les formes localisées et sa sécurité clinique comme traitement de routine n’a pas encore été validée.
A l’heure actuelle, il n’existe pas de traitement pharmacologique pour l’amyloïdose laryngée. conclusion L’amyloïdose laryngée est une pathologie rare et bénigne. Le diagnostic est à suspecter face à un patient présentant une dysphonie résistant aux traitements conventionnels. Une investigation par endoscopie (MLS) est donc recommandée car c’est la biopsie tissulaire qui permet le diagnostic définitif. Malgré une majorité de formes localisées d’amyloïdose laryngée, un bilan complémentaire à la recherche d’une forme systémique et multifocale est de mise. Le traitement se base essentiellement sur la gêne du patient. En effet, le traitement est purement chirurgical et, face à une pathologie bénigne, la préservation fonctionnelle est primordiale. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre l’entrave fonctionnelle du patient liée à ses dépôts d’amyloïde et celle, potentielle, liée à une chirurgie endoscopique. Le suivi des patients est annuel en raison d’une récurrence possible ainsi que de la possible conversion systémique de la maladie.
* à lire
** à lire absolument
Plus d'informations : https://www.revmed.ch/RMS/2015/RMS-N-488/Amyloidose-laryngee-revue-de-la-litterature-et-cas-clinique#tab1
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